La faute de l'autre
Le déclencheur
« Au Québec, le peuple est le grand absent de la vie politique. Tout se fait sans lui, par-dessus sa tête, et depuis longtemps. Certes, il participe à tous les rituels de la démocratie, dont ses élus se réclament aussi pour fonder leur autorité. Or, cette participation même fait disparaître et le peuple et l’autorité. »
Brigitte Haentjens, Sébastien Ricard et autres membres du regroupement citoyen le Moulin à paroles, «Sommes-nous un peuple?» Le Devoir, 3 janvier 2014.
Dans Le Devoir du 3 janvier, les membres du Regroupement citoyen le Moulin à paroles pose une question qui se nie elle-même : Sommes-nous un peuple ? Une lecture attentive de la définition même du mot « peuple » leur aurait fourni une réponse rapide : le peuple n’a pas à douter de son existence, et surtout pas au nom d’une idéologie nationale en manque de visibilité, qui s’appuie sur une faute originelle héritée de la mentalité catholique qui renie l’invention de la liberté pour la transformer en une libération de l’Autre. Car si la liberté n’a plus droit de cité, comme les auteurs de ce texte l’affirment, c’est moins en raison d’une tragédie historique que de cette théologie de la chute qui nous projette encore et toujours vers un passé raté dont on accuse l’Autre d’avoir profité.
Rien n’est plus nocif à la liberté que le retour à l’essence qui caractérise ce genre de discours apitoyés sur le sort prédestiné d’un peuple qui aurait à se libérer d’un ennemi ancestral pour pouvoir être libre lui-même. C’est aux chaînes de mon peuple lui-même que je dois mon aliénation permanente, et non à un Autre. Ces chaînes ont été posées sur mes yeux, en travers de mes mains, autour de mes pieds, par son incapacité à formuler, à inventer cette liberté dans ses actes mêmes ; dans ses paroles brouillées par la pollution des idéologies, des raccourcis sémantiques dont tant de pseudopenseurs se servent pour abuser la foule de leurs obsessions.
Rébellion
Vous dites que la pensée républicaine s’est éteinte pour un siècle après la rébellion des patriotes de 1837 ? Le révisionnisme historique ne vous étouffe donc pas ! À elles seules, les figures de Joseph Guibord, d’Arthur Buies et de Jules Fournier suffisent à vous donner tort. Au-delà de cette amnésie, ce que je subodore dans cette manière de présenter la réalité, c’est d’insuffler à ceux qui vous lisent une révolte alimentée par le ressentiment et le reniement du passé. De passer outre aux Lumières du Canada français qui, si elles ne sont en rien comparables à celles de l’Europe du XVIIIe siècle, arrivaient quelquefois à allumer une lanterne au coeur de cette obscurité. Vous connaissez la chanson. Si on est dans son lit sans lumière, la meilleure manière d’y voir plus clair est de demander l’aide d’un ami. Ici, on a tendance à accuser la nuit de sa noirceur, l’Autre de sa différence. On se découvre des plaies et on accuse l’Autre d’avoir inventé la douleur.
Le dieu Janus, chez les Romains, présidait à tous les passages, à tous les commencements. Un de ses visages était tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir. Il est parvenu jusqu’à nous sous l’appellation de « janvier » dans le calendrier julien. On doit son origine au Chaos initial de la mythologique grecque, à cet ensemble d’éléments disparates qui précèdent le commencement de tout. Au lieu de chercher l’origine de cet accident initial qui nous priverait du droit à l’autodétermination, de cette tare originelle qui nierait notre liberté, ne devrions-nous pas saisir le commencement de cette année nouvelle pour prendre la parole et exhorter notre peuple à cesser de faire porter l’odieux à l’Autre pour notre propre manque de vision politique ?
Maxime Catellier