La folle avoine (Québec)
L’histoire est un pré
On a bien tout fauché
On a bien tout tassé
Au grenier de la mémoire
Les granges se noient dans les blés
Je ne veux rien oublier
Les bras des ouvreurs de chemin
La vaillance des chevaux
Les maisons blanchies à la chaux
La rivière Famine
Le visage du semeur
La vie frappée au fer
Je ne veux rien oublier
Les baïonnettes mystérieuses
Les nuits incendiées
La race au gibet
Les clochers de l’échafaud
L’oubli de l’offense
Le sang trop vite essuyé
Je ne veux rien oublier
La misère à carreaux
Les bretelles sans fusil
Les fronts silencieux
La soumission héréditaire
Les chapeaux de feutre
Sur la tête des hommes
Je ne veux rien oublier
L’égoïne chantante
Les montagnes coupées
Le bois à vendre debout
L’oiseau derrière la vitre
Les couvertures à pointes folles
Et toutes ces choses qui s’envolent
Je ne veux rien oublier
Les faucons tournant
Au-dessus du fleuve
Les cierges contre l’orage
La poule donnée au diable
Le ciel de la chasse-galerie
La mélancolie de l’accordéon
Je ne veux rien oublier
L’hiver qui tombe du ciel
Les glissades sur la pelle
Les miettes sur la neige
Le temps échappé
Le manque de jour
Le manque tout court
Je ne veux rien oublier
J’habite une légende
Dont je ne connais plus la langue
L’alouette renonce à sa colère
Mais je regarde toujours le feu
Je ne veux rien oublier
Du soleil rose et jaune
Qui se lève à l’est
À tous les étages du gâteau de la noce
Dans le bonheur des saisons
Christiane Loubier