Le meneur de lune (France)
L'homme est le lieu des faits qu'il contrôle et de ceux qu'il ne contrôle pas.
L'instant qui ne m'apporte pas un enrichissement ouvre en moi une blessure. Chaque présence est une apparition. Pas un être dont je n'attende tout. Prêt à m'accuser du mal qu'on me fait car il m'apitoie sur les hommes et m'endurcit contre mon coeur qui n'a pas su les changer. Chacun porte en lui les éléments d'un miracle qui le rendrait le plus beau de tous ; et nul ne fait de rêves si beaux qu'il ne puisse en être le songe.
Il n'y a pas de merveille dans notre imagination dont ce que nous aimons plus que nous-mêmes ne doive recevoir le don. Il n'est pas un être qui ne sache, à force d'amour, devenir l'éblouissement de tous.
Je l'appelle la Souterraine à cause de l'endroit, toujours le même où elle m'apparaît.
C'est la rue de la gare, toutes vitrines fermées, aussi étranglée que si on l'avait, à minuit, enfoncée toute droite dans les profondeurs de la terre ; ou que, par une loi encore inconnue, son reflet se reformât à l'envers de la croûte terrestre, sous la lumière plombée d'un soleil souterrain. Des amis morts depuis trente ans errent dans la ruelle, en parlent au passé, comme ils parlent d'eux-mêmes, sans entrain, mais avec une sorte de tristesse allégée, le sentiment mélancolique des morts pour qui la mort n'est ni une crainte ni un secret.
Joe Bousquet