Lettre à Pierre Foglia
Parce qu’ici c’est comme ca!
Bonjour monsieur le journaliste,
Mon nom est Louis Longchamps. Je suis de Lac-Mégantic et j’ai pensé vous offrir cette histoire comme je vous aurais offert un panier de chanterelles cueillies dans un sous-bois du golf (sur le chemin de Woburn) un peu plus tôt cette semaine.
Pourquoi vous la donner à vous cette histoire? A cause de votre chum Bob. Vous me touchez beaucoup quand vous parlez de lui. Robert était l’oncle de mon amie Geneviève. Elle l’aimait beaucoup et je me souviens de sa peine lorsqu’il est mort. Je me souviens de la vôtre aussi. Nous aurons tous un ou plusieurs « Bob » avec cette tragédie.
J’ai été aussi très touché par la simplicité et la justesse de certains de vos textes au début de la tragédie. Votre texte, La veille dans lequel vous parlez de Rémi Tremblay qui n’a pas joué « une game ». Il est un journaliste jusqu’au fond de lui-même. Il a fait son boulot, comme d’autres auraient dû le faire le soir du drame. Les faux se sont donnés pleins d’excuses pour ne rien faire. Certains ont le sens du devoir, d’autres pas.
Isidore, je vous embrasse a su en quelques lignes décrire l’ambiance de la région. Ces quelques lignes m’ont fait à la fois rire aux éclats et pleurer à chaudes larmes. Les choses changeront monsieur le journaliste. Notre fibre intérieur restera la même, mais il y a un morceau de nous qui a été arraché à froid, sans anesthésie.
Prenez une grande respiration, vous verrez, ca fera pas mal. Et Vlan!
La différence est que l’on ne nous a pas averti que ca arriverait et ca fait beaucoup plus mal qu’on le pensait.
Je suis né à Lac-Mégantic. J’ai quitté pour les études et le travail, mais j’y suis revenu. Je ne me voyais pas élever mes enfants ailleurs qu’ici. Je me disais que c’était la plus belle place au monde pour y fonder une famille. Je me disais aussi que c’était la place la plus « safe » au monde. Tout cela, c’était avant.
Je dormais à peine depuis quelques minutes quand ma blonde m’a réveillé en me disant, »Viens voir, y’a un méga feu en ville. » J’habite une rue particulière. On y retrouve 4 pompiers, 1 ambulancier et un policier. Quand tout a sauté dans la nuit du 6, nous sommes tous sortis dehors en même temps. Tout se beau monde se dirigeait à vive allure vers cet enfer.
Savez-vous ce qui était frappant monsieur le journaliste? Le son! Je devrais dire que c’est l’absence de certains sons qui était hallucinant : aucune sirène. Il y avait un grondement sourd d’une puissante combustion (1000 BBQ en même temps), des crépitements, des explosions à répétition, des cris, mais aucun sirène.
Pendant que nous prenions connaissance de l’ampleur de ce qui se passait, une vague de gens remontaient à la course la rue Agnès en criant : « un train a explosé, sauvez-vous, la ville brûle. » Quelques secondes plus tard, Dominique, mon voisin immédiat, revenait en trombe du centre-ville pour nous donner l’ordre d’évacuer. C’est ce qu’on a fait le plus vite qu’on a pu. Nous sommes allés nous réfugier dans un petit chalet à Piopolis. Pendant les longues heures qui ont suivi et que les explosions se succédaient, je pensais aux pompiers, mais surtout à mon chum Dominique.
Il est de 8 ans mon cadet. Nous habitions sur la même rue quand nous étions plus jeune (la même qu’aujourd’hui d’ailleurs) et ses parents sont de bons amis des miens. Il aimait bien me suivre partout et faire tout ce que je faisais. J’étais son idole.
Aujourd’hui, c’est lui mon idole, comme tous les pompiers qui ont combattu cet infernal brasier. Plus les jours passent et plus nous voyons le travail de titan qui a été effectué pour sauver la balance du centre-ville et le reste de la ville. Ces hommes et femmes ont pris des décisions qui ont changé le sort de notre petite municipalité.
Le 6 juillet, mon voisin Dominique devait refaire sa toiture. Bien sûr, personne ne s’est présenté pour faire la job. Le grand Dom pendant la semaine, s’était même dit : « Bof on la fera à l’automne. » Et bien non, ici ce ne se passe pas comme ca.
Pendant la première semaine de la crise, plusieurs personne se sentaient impuissantes. On ne savait pas quoi faire pour aider. Dans notre quartier, on a décidé de s’occuper de nos héros. J’ai profité des absences prolongées de Dom, pour faire sa pelouse et organiser une corvée pour faire sa toiture.
Tout est tombé en place le samedi, une semaine après le drame. Sa famille a profité de sa seule journée de congé pour l’attirer loin de sa maison pendant qu’une armé de gens : amis, parents et voisins se sont affairés à faire la toiture de l’un de nos héros.
La question nous a été posée une dizaine de fois : « Pourquoi vous avez fait ca? » Parce que ici, c’est comme ca. On ne se laisse pas tomber. Mais surtout, et cela va peut-être vous sembler étrange, mais c’est parce que nous pouvions le faire. Sans l’intervention des pompiers cette nuit là, toute la ville aurait pu y passer. Nos maisons sont encore debout et témoignent du travail de nos héros. Puisque cette maison était encore là, c’était notre devoir de faire la toiture.
Je vous laisse donc, cette histoire monsieur le journaliste. Je vous l’offre comme mon panier de chanterelles parce que je sais que vous en abuserez pas. Vous les partagerez autour de votre table, en prenant bien soin d’en laisser pour tous, car maintenant vous connaissez l’essence de ce que nous sommes et ici c’est comme ca.
Louis Longchamps