Lettre à Victor-Lévy Beaulieu
Cher Victor-Lévy
Personne ne s’est aperçu qu’en désignant l’arbre malade à abattre, on n’a pas vu la forêt qui se détériore aussi. J’ai lu tous les commentaires, articles, et j’en ai entendu d’autres plus acerbes encore au sujet des Éditions Trois-Pistoles qui traînent de la patte. Quand j’ai reçu ta lettre m’annonçant que mon deuxième tome de DE L’EAU SUR LE PAPIER, L’enfer de Diderot, prévu pour l’automne ne serait pas publié tel qu’entendu, j’ai ressenti une vive douleur au milieu de mon amour-propre.
J’ai vociféré, hurlé, tapoché, et même menacé d’aller le publier ailleurs, puis la vase s’est déposée au fond et je me suis mise à éprouver pour toi une certaine pitié. Comme le père qui, ayant perdu sa job, décide de ne pas entrer à la maison, pour ne pas entendre ses enfants et sa femme se plaindre de la faim, tu ne me rappelles pas, tu ne réponds pas à mes courriels. De mon côté, j’ai reçu des appels pour donner des entrevues et chaque fois, j’avais l’impression que j’allais concourir à ta descente au royaume d’Hadès. Et ce n’est pas ce que je voulais.
J’ai plutôt accusé le monde littéraire au Québec. Le nombre incalculable d’écrivailleux qui veulent publier, le trop grand nombre de tâcherons parmi les éditeurs, le trop petit nombre de citoyens qui lisent de la littérature, le peu d’intérêt des libraires pour les livres québécois, les listes inclassables de titres de livres étrangers dans les médias québécois, et j’en passe ! Alors, notre grand écrivain VLB souffre autant que ses auteurs de cette situation, j’imagine.
J’insiste : créons donc les États Généraux de l’Édition au Québec. Questionnons les subventions, le coût exorbitant de la publicité dans les magazines, le coût faramineux des frais de poste, les publications massives des livres écrits par des nègres pour des grosses vedettes du showbusiness, les éditeurs qui font des cadeaux aux salons du livre ou pour obtenir une place dans le palmarès des journaux, le manque d’intérêt des lecteurs pour la littérature qui demande des efforts, l’inexpérience déplorable des recherchistes d’émissions pour grand public, le coût des kiosques dans les salons du livre, le peu d’entrevues accordées aux écrivains, sauf s’ils sont des artistes en manque de popularité. Il y aurait tout ça et davantage, tu le sais.
On ne peut pas évoquer ton manque d’expérience dans l’édition. Cette fois, puisque tu ne t’es jamais gêné pour crier ton amertume et ta rage en distribuant des lettres et des horions, les journalistes vont tenter de te faire tomber de ton rocher, comme Le Pélican d’Alfred de Musset, offrant sa poitrine ouverte à ses petits affamés qui courent sur le rivage. Mon exemple est farfelu, peut-être, mais je le crois éclairant.
J’ai publié chez une douzaine d’éditeurs, et jamais aucun d’entre eux ne m’a offert des exemplaires de mes livres en échange de mes droits. Tu l’as fait, toi. Et j’ai refusé. Et je tiens à publier le deuxième tome de mon roman DE L’EAU SUR LE PAPIER au plus vite et je sais que ce n’est pas lorsque je vis des frictions idéologiques avec un éditeur que l’acte de publier est un bonheur. Alors je ne veux pas me fâcher avec toi. Mais tu ne diras pas que la perte de ton théâtre des Trois-Pistoles, l’infidélité du maire, la trahison du député de Rivière-du-Loup et l’intransigeance de l’UDA sont autant de raisons valables pour que tes auteurs ne reçoivent pas leurs droits.
Je souhaite que ce gouvernement crée les États Généraux sur l’Édition au Québec, qu’il
nomme l’ombudsman que je réclame depuis plusieurs années, et que l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) réfléchisse sur les pratiques de ses membres, que les subventionnaires se questionnent sur leur aide financière. Alors seulement, le peuple québécois comprendra combien il est ardu de publier des livres et surtout, que les lecteurs fassent la différence entre un livre populaire et une oeuvre littéraire. Et ils te pardonneront. Et tes auteurs aussi.
Je souhaite que les Éditions Trois-Pistoles se portent mieux. Et toi aussi. Il faut que tout le monde sache que les droits d’auteur représentent le degré d’amour de nos lectrices et lecteurs. À 10% de redevances sur le prix d’un livre, ce ne sont certes pas les auteurs qui exagèrent. Ils devraient au moins recevoir leurs droits qui sont résolument sacrés. Imagines-tu un concessionnaire d’automobiles qui dirait à ses vendeurs : hélas, je ne peux pas vous payer votre commission cette année ?
Alors, tu vois ? La situation de ta maison d’édition servira de déclencheur pour que tous, nous nous penchions sur les raisons qui motiveraient un éditeur comme toi, VLB, à continuer malgré les difficultés.
Les gens qui veulent des États Généraux sur l’Édition au Québec et un ombudsman peuvent m’écrire à :
francineallard@videotron.qc.ca
Francine Allard