Manifeste citoyen

Publié le par la freniere

     Depuis Victoriaville, depuis le 4 mai 2012, la crise sociale qui secoue le Québec a pris un tournant qui pourrait être décisif. Le conflit est désormais ouvert qui oppose une élite de dirigeants, de puissants et de mandarins et un nombre croissant de citoyens résolus à défendre la justice pour tous et le respect des droits fondamentaux.

     Car nous vivons toujours dans un État de droit.

     À Victoriaville, contre des manifestants en grande partie pacifiques, les « forces de l’ordre » se sont ruées, sans avertissement audible, dans une charge brutale, démesurée, aveugle. Et des policiers sont allés jusqu’à entraver l’intervention de secouristes, avec un mépris cynique de la dignité humaine. Plus grave encore, le premier ministre du Québec s’est non seulement abstenu de condamner ces excès mais il a eu le front de déclarer le travail des policiers « remarquable ». L’élu du peuple pourrait-il encore prétendre revendiquer pour lui une légitimité démocratique qu’il est tenu, par sa fonction, de maintenir?

     Désormais, les étudiants savent fort bien qu’ils ne sont pas seuls : de tous âges et de toutes conditions, nous nous tenons de plus en plus nombreux à leurs côtés. Nous savons désormais que le fusil pointé sur Maxence Vallade ne visait pas qu’un collégien désarmé : tous les citoyens qui oseront dénoncer l’obstruction, sans cesse aggravée, à l’exercice du droit, garanti par des chartes, à exprimer leur opinion, à s’associer et à manifester pacifiquement sont dans la mire des hommes de main du pouvoir. Et ce pouvoir est redoutable puisqu’il est en réalité celui de puissants intérêts financiers qui dictent leur « politique » à des élus qui s’emploient à les « représenter » tout en déclarant servir l’intérêt général.

 

     Nous, citoyens résolus à revendiquer et à faire prévaloir une vie démocratique qui soit autre chose qu’un simulacre, nous jugeons impératif qu’elle se manifeste en tout lieu et en toute occasion, telle qu’assumée par chacun selon l’enjeu d’un vivre ensemble inépuisablement diversifié dans ses aspects. Cette légitime aspiration, c’est plus qu’il n’en faut pour faire barrage, sans recourir à la violence, aux menées de ceux qui ne voient là qu’une entrave à la poursuite de leurs intérêts particuliers. Rien d’étonnant à ce qu’ils y tiennent, à ce simulacre grotesque que serait un système démocratique strictement réduit à des astuces procédurales, et pour les citoyens, au seul exercice du droit de vote. Car ce qu’ils apprécient par-dessus tout, c’est l’inertie d’une majorité célébrée comme « silencieuse » : une population amorphe d’« utilisateurs-payeurs » qui ne font pas de manières, — qui se taisent. Ils s’en déclarent du reste sans gêne les interprètes autorisés. Et ils s’ingénient par tous les moyens à faire danser des citoyens-pantins fermement assujettis à leurs fils, et télécommandés grâce aux bonimenteurs appointés de leurs conglomérats médiatiques.

 

     Des citoyens se taisent ? Ils ont peur ? Ils se jugent impuissants à changer quoi que ce soit ? Et peu importe le prix, ils sont prêts à céder à la raison du plus fort pour assurer leur tranquillité ? Attention ! Combien parmi eux en sont arrivés là parce que, souvent dès l’enfance, on les a convaincus de leur prétendue infériorité, qu’on les a humiliés et mutilés moralement ? Et il en est tant qui sont rivés à des conditions de vie dégradantes sans l’espoir de s’en sortir.

     En chacun de ces êtres, subsiste intacte la protestation d’une dignité offensée, que le ressentiment laisse entrevoir autant qu’il la trahit. Si nous prétendons  vraiment vouloir en finir avec le détournement honteux de la souveraineté populaire, nous tenterons, en toute occasion, de leur redonner le goût de vivre la tête haute comme des personnes libres et des citoyens responsables.

 

     Ce qui se passe à présent au Québec est indissociable du cours actuel du monde. Qui, pour un regard attentif et lucide, est emporté vers une destruction massive. Partout sur la planète, un clan de superprédateurs est décidé à tout réduire à l’état de marchandises ou de déchets, y compris les êtres humains. Il est urgent de s’aviser qu’ils ne reculeront devant rien pour imposer leur loi hors loi et leur désordre létal. Tous ceux qui refuseront, peuples ou citoyens, de se soumettre devront bientôt compter avec la menace d’une répression généralisée, et au besoin sanglante.

     Mais peut-être n’est-il pas trop tard. Désormais, d’un peu partout sur Terre, des citoyens de plus en plus nombreux ont commencé à opérer leur jonction en vue d’opposer à l’assaut des destructeurs un front de résistance étonnamment ingénieux et tenace dans son avancée planétaire.

     Notre combat est québécois, mais l’enjeu est mondial.

 

     Je rêve, oui. Je rêve à une insurrection de la conscience citoyenne à la grandeur du Québec. Une insurrection qui rallie tous ceux qui veulent pour tous et pour chacun une démocratie où vivre libre et vivre ensemble soient d’un seul tenant l’alpha et l’oméga de tout agir politique.

     Je rêve d’une insurrection de la beauté, où l’imagination partagée fait surgir l’invention d’une communauté de citoyens solidaires, et adonnés à l’œuvre de justice qui rende à chacun l’initiative de faire don aux autres de son irremplaçable singularité. Comme un diamant multiplie son éclat par toutes ses facettes.

     Je rêve, oui, mais je sais que je ne suis pas le seul à rêver.

     Nous rêvons, et nous savons qu’en nous c’est le peuple de la Terre qui est en train de naître.

 

Paul Chamberland

 

Publié dans Poésie du monde

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