Ni fille de ni femme de
Je ne suis pas province, fille de pays, ni morceau ni parcelle ni déchirure, je suis ce pays même.
Je suis d’ici comme un arbre de ses racines, de ce lieu de terre noire et de feuilles brûlées. Je suis de marées rauques et d’étincelles, de champs labourés où pousse le grain, de rues ouvertes bordées de maisons vieilles, des berçantes alignées au pas des portes, des dessins de l’enfance tatoués sur les trottoirs.
Je suis d’ici comme on sort de l’école à midi pour aller jouer aux billes dans la cour. Je suis du temps des cerises en grappes, des moutons de la Saint-Jean sur le char de parade, des devoirs faits sur la table, des leçons par cœur.
Je suis d’ici comme on habite les contes. J’ai la mémoire de l’avenir et de l’espérance. Mon adolescence est derrière moi.
Je suis de maintenant, de cette parole du temps des poèmes ivres lus à minuit, de la nuit longue où se refait l’amour, de l’aube pieds nus sur le seuil. J’ai le cœur tendre, non frileux.
De guingois quand l’espoir vacille, je suis du temps de la défaite. Ni pantin, ni fantoche, ni marionnette. Ma main tendue est mon drapeau.
Je me tiens debout comme un arbre. C’est ainsi que je pleure.
Je ne suis pas province, femme de pays, ni survivante, ni rescapée, ni fragile, je suis ce pays même.
Je parle sans me trahir, sans me renier. Je ne suis pas clameur aveugle ni rumeur sourde dans vos oreilles. Je ne parle pas dollar mais parole d’ici, ni bâillonnée, ni peureuse, ni tue. Je parle une langue de poète, celle de Miron, de Godin, de Garneau, celle de Morency, de Royer, de Vigneault. Je suis la mer de monde chantant ce pays. Ma colère d’alouette fait trembler la buse.
Je suis d’ici, de liberté nouvelle. Ni désemparée, ni soumise ni démunie ni achetée ni vendue ni escroquée ni emprisonnée ni piégée ni perdue ni dispersée ni chassée ni battue ni blessée ni annihilée ni raturée ni ligotée ni cadenassée ni clôturée ni rompue ni brisée ni rapiécée.
J’habite pleinement mon temps, mon espace. Je suis cet amour, ce geste, cette parole.
Je ne suis pas province, fille ou femme de pays, ni partie, ni pièce, ni séparée, je suis ce pays même.
Tends l’oreille, écoute. Aujourd’hui, demain, sous la voix du poème, tu peux entendre battre mon cœur.
Monique Laforce