Nous n'avons pas voté pour les libéraux
Deux Québécois francophones sur trois n’ont pas voté pour les Libéraux
Il n’y a pas de doute : en principe, les Libéraux sont bien installés au pouvoir pour 4 ans, avec toutes les conséquences que cela comporte, à moins que le ciel ne leur tombe sur la tête (à la Commission Charbonneau notamment). Mais il ne faut pas faire dire à cette élection ce qu’elle ne dit pas. Surtout pas que les Québécois (francophones ) sont des cave et d’incorrigibles peureux.
Une fois de plus, c’est l’absence de proportionnalité et de deuxième tour dans notre mode de scrutin qui a produit une distorsion majeure en faveur du parti dominant. Les Libéraux recueillent 57% des députés avec 41% du vote total, et guère plus que 30% du vote francophone. Ce qui veut dire que plus de 2 Québécois francophones sur trois n’ont pas voté pour eux.
Disons que c’est encore trop, surtout quand on voit des circonscriptions virer rouge même en Abitibi, aux Iles-de-la-Madeleine, au Saguenay-Lac-St-Jean. Mais il faut se rappeler que les Libéraux sont le parti de l’establishment, des patrons, des riches, des fédéralistes enragés, des anglophones, des immigrés, des bien-pensants, de ceux qui considèrent qu’il est normal de tricher et de profiter, de la racaille, de la collusion, de la mafia, des comptes dans les paradis fiscaux, des primes de départ de 1.2 millions, etc. C’est une clientèle, malheureusement, qui est stable...et même en croissance continue! Et cette fois-ci, elle a raflé la mise.
Mais ce n’est pas une raison pour en conclure qu’il n’y a plus rien à faire avec notre peuple. La grande majorité des Québécois, même si on leur a trop longtemps prêché la soumission à l’autorité, si on les a trop longtemps exploités aussi, sont des audacieux, des entreprenants, des solidaires et des bons vivants, des démocrates même.
La faillite du PQ et des partis politiques
Le vote de 70% des Québécois francophones qui ne partagent pas la morale libérale, disons le vote démocrate, est malheureusement divisé et désormais errant, parce que le PQ a failli à l’unifier dans un projet commun, nous obligeant à tourner en rond depuis 30 ans. Cette impuissance a atteint son sommet durant la dernière campagne. Par ses demi-mesures et ses messages contradictoires sur l’indépendance, l’identité, la solidarité sociale, l’environnement, Pauline Marois a dilapidé une grande partie des appuis du PQ et plongé le parti dans une crise sans précédent.
Ces votes perdus, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, ne sont pas allés massivement à Québec solidaire, qui, malgré le succès d’estime et l’exceptionnelle conjoncture dont il a profité, n’a pas fait de progrès significatif. Les Québécois ne font pas confiance à Québec solidaire pour gouverner. Les votes perdus sont allés, dans la grande région de Montréal, à la CAQ, et c’eut été également le cas dans la région de Québec si la peur panique d’un référendum dans cette région n’avait joué en faveur des Libéraux. En tel cas, la CAQ se serait probablement retrouvée première opposition.
La migration du vote péquiste vers la CAQ ne signifie rien d’autre, quant à moi, que l’écoeurement de la classe moyenne face au discours nationaliste étriqué du PQ et aux partis politiques dominants en général, qui continuent à se payer notre tête, à nous mentir, à jouer leurs jeux partisans, à s’en mettre plein les poches; la perte de confiance face à une régime démocratique qui n’a plus rien de démocratique. À ce chapitre, les résultats le montre, les gens ne font plus vraiment la différence entre le PQ et les Libéraux.
Changement de cap
Le message de cette élection, quant à moi, c’est que le moment est venu de s’attaquer au renouvellement de nos institutions démocratiques pour restaurer la souveraineté du peuple. Le temps est venu de remettre en question le rôle du PQ, la façon d’envisager la souveraineté du Québec, mais également, le rôle des partis politiques en général, le rôle de l’élection, le mode de scrutin, la désignation du premier ministre et des ministres, notre système parlementaire, le statut politique d’ensemble du Québec. La réforme démocratique et la restauration de la souveraineté du peuple est l’enjeu incontournable de la prochaine Révolution tranquille du Québec, et elle ne se limite pas au scrutin proportionnel comme on va tenter encore une fois de nous le faire croire.
Refuser d’entreprendre la réforme globale de nos institutions démocratiques et de réviser notre façon d’envisager l’avenir du Québec, on le voit bien, c’est laisser le champs libre aux patrons, aux riches et aux étrangers qui sont désormais bien installés dans les sièges de notre assemblée nationale. Changer de chef ou de parti ne change plus rien. Les trois zouaves qui se sont pointés effrontément à la direction du PQ le soir de l’élection risquent fort de faire fausse route s’ils se contentent de vouloir raviver la flamme indépendantiste au PQ sans remettre au peuple les moyens de redéfinir lui-même non seulement le statut politique du Québec mais notre emprise sur le territoire et toutes nos institutions démocratiques.
Faire du Québec une réussite démocratique est la seule façon de faire du Québec une réussite économique, écologique, sociale et culturelle.
Roméo Bouchard