Pourquoi j'ai démissionné de Facebook
C'était devenu une habitude si ancrée, si tenace. Le matin, un café en main, je parcourais le «fil d'actualités» de Facebook™ et je nourrissais mon quotidien à l'auge de cette mise en scène de la vie des autres, et de la mienne en particulier. Véritable stasi de la pose ironique postmoderne, ce réseau social me divertissait, m'informait, me mettait en contact avec une foule de gens avec qui je n'aurais peu ou pas de contact, et surtout me faisait prodigieusement perdre mon temps. Au fil du temps, je me suis trouvé mille et une raisons pour justifier l'utilité de ce réseau : opportunités professionnelles, nourriture journalistique grâce aux nombreux liens mis en ligne par les «amis», débats initiés par un commentaire, etc... Je justifiais ma dépendance à ce réseau comme l'alcoolique le ferait à propos de sa «dernière» bière. Bref, j'avais besoin de cette vitrine et c'est pourquoi j'y passais tout ce temps... mais à la recherche de quoi?
Certains Casanovas du mardi après-midi prétexteront que ce site est l'équivalent d'un meat market virtuel, et je leur donne entièrement raison. Rien n'est plus facile, en effet, que de pêcher à l'aveugle dans cette mare aux illusions. Viendra peut-être le jour où ils pourront carrément baiser à travers l'écran. J'ironise à peine. Il demeure qu'au train où vont les choses, la simple conversation entre deux êtres humains se croisant par hasard dans la rue risque de devenir rare comme la démission d'un pape. Il n'est pas loin le jour où le téléphone intelligent, son GPS et ses applications, il sera possible de se le faire poser directement dans le fion. Et peu à peu, ces denrées rares comme l'acuité intellectuelle, le charme composé, l'esprit, l'humour, le hasard des rencontres iront rejoindre leurs semblables dans les poubelles de l'histoire. Peu à peu, le désir, ce principe sensible qui irrigue notre soif de connaître et de communiquer, ne sera plus qu'un manque. Un manque que l'on peut facilement combler en se connectant à notre réseau social.
Pendant ce temps, en ce beau mardi mouillé comme février sait nous en faire après des froids sibériens qui donnent envie de ne plus jamais sortir de chez soi, je lis le livre de l'Ecclésiaste. C'est tiré d'un ouvrage assez connu, une somme d'écrits réunis durant l'Antiquité et qui s'est rendue jusqu'à nous sous le titre de La Bible. C'est navrant comme la religion peut vous gâcher pendant des années un tel plaisir de lecture. Et que nous apprend le livre de l'Ecclésiaste?
«Plus il y a de paroles, plus il y a de vanité : quel avantage pour l'homme?»
Vanité, vanité, tout est vanité. Et ça n'a pas changé depuis que le roi Salomon s'en est aperçu, entre deux gorgées de vin et un baiser de la bouche de sa belle. C'est le parti que je me risque à prendre, celui du pessimisme intégral quant à la vanité des êtres et à leurs motivations profondes. Ceux que j'aime, je les trouverai. Je suis d'ailleurs de ceux qui passent, plus que de ceux qui appellent. Cette vanité permanente que l'on retrouve aussi bien dans les journaux que dans son miroir, je veux la combattre en cherchant ceux que j'aime. Je n'ai pas dit mon dernier mot. Mais il se peut qu'en chemin, je me retrouve tout à coup seul au milieu d'une forêt. Une forêt d'indices.
«Je suis intimement persuadé que toute perception enregistrée de la manière la plus involontaire comme, par exemple, celle de paroles prononcées à la cantonade, porte en elle la solution, symbolique ou autre, d'une difficulté où l'on est avec soi-même. Il n'est encore que de savoir s'orienter dans le dédale. Le délire d'interprétation ne commence qu'où l'homme mal préparé prend peur dans cette forêt d'indices.» André BRETON, L'Amour fou (1937)
J'aurai, pour me porter secours, une boussole dont le magnétisme seul saura porter à ma rencontre les êtres en qui les solutions imaginaires à ces peurs irréelles répondront à mon désir de communiquer. Mais je refuse qu'on me dise où les trouver. Et un soir, au dépanneur, je croiserai cette personne que j'ai vraiment envie de voir, plutôt que de croiser indéfiniment son nom sur un réseau de solitudes rassemblées, de solitudes ne connaissant jamais la véritable solitude : celle qui nous donne envie de voir du monde.