René Pons

Publié le par la freniere

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Né en 1932 à Castelnau le Lez, près de Montpellier, il passe son enfance dans la banlieue parisienne, puis, à la déclaration de guerre, revient avec sa famille à Montpellier où, après ses études secondaires, il fréquente, sans grand succès, les facultés de lettres, de médecine, publie ses premiers textes et, en 1962, son premier livre aux éditions Gallimard. Depuis, dans différents domaines – récits, carnets, poésies, etc. – il a publié une trentaine d’ouvrages, à l’écart des milieux littéraires et médiatiques.

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Nocturnal est de ces livres rares, inclassables, que les éditeurs industriels rejettent systématiquement car il n'est pas une source de profit potentiel, il ne flatte pas les goûts du troupeau, il ne tend pas un miroir complaisant au lecteur… Il fait tout pour déplaire par lui-même et trouve ses lecteurs parmi ceux qui n'entrent plus dans une librairie, certains d'y trouver ce qu'ils connaissent déjà et qui les révulse ou les révolte… Nocturnal est une suite de notes d'atelier (numérotées de 1 à 370), si l'on peut dire : on pénètre dans le tréfonds de l'écrivain. René Pons n'offre jamais son meilleur profil, il est à la recherche de la vérité, fût-ce au prix fort. Et ce, dans une société en guerre contre l'intelligence dès lors que cette dernière n'est pas aux ordres.

    Si un nocturnal, selon Littré, désigne dans la liturgie l'Office de nuit, ce terme, par sa morphologie évoque un mot-valise formé de noctur(ne) et (jour)nal. La nuit mise en journal ou un journal tenu de nuit ?  René Pons dit dès la note 6 : " La nuit dicte. " et il précise un peu plus loin ce qu'il entend par là : " On n'apprivoise pas la nuit : c'est elle qui impose sa voix rare. " (37) et l'on comprend alors que l'exercice auquel se livre René Pons est de capter (autant que faire se peut) ces pépites verbales qui traversent l'obscurité comme un astéroïde. Sans parler de dictée de l'inconscient, la nuit est faite en partie de ces instants où la conscience se réveille à demi et naissent alors ces pépites que peut capter René Pons pour les écrire. De fait, dans cet ensemble de notes, on a des images qui échappent à la raison (ainsi celle-ci : "Qu'est-ce que le réel ? Une poupée décapitée aux jambes écartées, posée sur une table à côté d'un couteau de cuisine. " (163) qui n'est pas sans faire penser à Lautréamont qui qualifie le beau comme " la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ") et que traversent les angoisses profondes du dormeur à demi-éveillé… Mais, à d'autres moments, la conscience et la raison semblent reprendre le dessus et le lecteur découvre un discours qui, dans sa cohérence, résume admirablement la situation et la démarche de Pons qui ne manque pas de s'interroger sur l'écriture et ce qui lui est lié de près ou de loin.

    Trois notes sont à citer : " En moi ni pitié ni mépris. Je me sens seulement le citoyen d'un pays dont je ne comprends plus la langue. " (59), " Étrange sensation. Celles de rubans caoutchoutés qui peu à peu ligoteraient mon esprit, raccourcissant ma respiration et ralentissant ma liberté jusqu'à me rendre immobile " ( 71) et surtout " Habité par le sentiment du vide et persuadé de la vanité de cette vie, et l'écrivant, que puis-je apporter ?  Rien, ou tout au plus un sentiment de connivence avec qui pense comme moi. […] Le reste, c'est-à-dire à peu près tout ce qui s'écrit, n'est que chiffre, distractions, pavaneries, fadaises et récupération, bref ce qu'on nomme littérature, à laquelle moi-même j'ai sacrifié et continue, de loin en loin […] pas à une contradiction près, à sacrifier " (80).

    Ce n'est pas seulement sur le petit monde des écrivains à succès qu'est jeté ce regard lucide et cruel (mais René Pons ne se ménage pas !),  mais aussi de façon générale sur tout ce qui prend la parole et prétend détenir la Vérité : "Le disert pérorait devant les caméras brillant comme du strass et dodu de bonne chère : on avait l'impression de voir une grenouille morte agitée par les spasmes de l'électricité " (88) ou " Il y a quelque chose de comique, me dis-je en regardant pérorer un orateur politique, à vouloir bourrer tant de prétention dans un si petit sac en peau de grenouille " (134).  Voilà qui nous rappelle que René Pons est un observateur attentif du monde même s'il s'en tient à l'écart ; ou qu'on peut lui appliquer cette définition glanée dans son livre : " Le pessimiste n'est pas celui qui n'aime pas le monde mais, à l'inverse, celui qui l'aime assez pour ne pas supporter de le voir systématiquement détruit " (114).

    C'est que René Pons a fui les chemins désherbés, qu'il est à la recherche " du dépassement du sens  pour échapper à la boue quotidienne des mots, pour ne pas être écrasé par ces amas de déchets verbaux que l'on nomme littérature et qui ne sont que le vomissement de l'ennui et de la mort " (109). Ce qui amène logiquement à se poser le problème du genre littéraire que cultive dans ces pages l'auteur. Peut-être pourrait-on, au risque de froisser celui qui affirme  gagner en dignité en se soustrayant aux clowneries festives qu'affectionnent de nombreux écrivains (122), dire que René Pons est à sa façon un moraliste dans un siècle qui en manque singulièrement…

 

Lucien Wasselin  in Recours au poème

 

Bibliographie

 

Éditions Gallimard
L’après-midi, 1962
Couleur de cendre, 1964
Une journée pleine, 1965
Le feu central, 1966
La baleine blanche, 1972

Éditions Actes Sud
Au jardin des délices, 1983
Et peut-être suffit-il de, 1984
Le Chevalier immobile, 1985
L’Homme séparé, 1995

Éditions Cadex
La mort de Woyzeck, 1990
Fragments d’un désastre, 1994
Autobiographie d’un autre, 1996
Cheminement vers le rien, 1997
Carnets du graphomane, 2000
Le bruissement des mots, 2003

Éditions Marval
Kurna, (photos J.-P. Reverdot) 1988
Quelques réflexions sur Paris, (photos D. Colomb) 1989
Territoires supposés, (photos J.-P. Reverdot) 1990
Lônes, (photos J. Salmon) 1992

Éditions Le bruit des autres
Petit dictionnaire subjectif, 2000
Janus, 2001
La véritable mort de Don Juan, 2002
Carnets des solitudes, (co-édition Cadex) 2004
Histoire de Marek, 2005
La Maison d'argile, 2007
Une forêt de signes, 2008

Éditions Jacques Bremond
Carnets du vide, 1991
Fin des terres, 1997

Éditions Paroles d’Aube
Carnets du souterrain, 1996
Lettres à des morts plus vivants que les vivants, 1999

Éditions Alain Benoît
Quatre jardins, 2002
Là où s’effacent les chemins, 2002
Abécédaire jardinier, 2003
Acte de foi, 2003

Éditions Encre et lumière
Seigneur, délivrez-nous du Pape, 2003
Art poétique, 2003
Un enfer bien calculé, 2006

Chez d’autres éditeurs
Pierres d’ombre, (Fata Morgana) 1970
Le roi des chiens, (Castor Astral) 1987
Nîmes, (photos de Michel Rouquette, éd. Les Imaginayres) 2000
Entours, avec J. Clauzel (L’art et maintenant) 2002
Montpellier atlantide, (éd. du Laquet) 2004
Connivences secrètes, (éd. Tipaza) 2007
Une Cythère infinie, (éd. Méridianes) 2009

Traductions (éditions de l’Aube) :
Le tigre et la neige, de F. Butazzoni (Uruguay) 1988
Borges en dialogue, (Argentine) 1992

 

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Comment se fait-il que la mélodie la plus kitsch, le film le plus sirupeux possible, me fasse soudain monter les larmes aux yeux à l’instar d’un chef-d’œuvre ?
Est-ce sénilité de ma part – ce phénomène il est vrai s’accentue avec l’âge –, ou bien la marque indélébile, hélas, de réflexes sentimentaux, effet de l’érosion quotidienne omniprésente de l’intelligence – épuisée d’une résistance qui se voudrait de tous les instants – par le dieu stéréotype, serviteur de tous les pouvoirs, dont on nous a si bien inculqué le culte ?
Soudain, lorsque cela m’arrive, je me sens baigné d’imbécillité, aux portes d’un paradis saint sulpicien où des bunnys, condamnées au sourire, me versent un cocktail, mélange d’aphrodisiaques et de tranquillisants.
Puis il y a le matin, l’herbe mouillée et son odeur, les fruits sauvages que bien peu ramassent aujourd’hui, le suspens du vent, les nuages immobiles dans le ciel, ce banal merveilleux, et un moment, si éphémère, d’accord avec le monde.

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Je tisse ma survie avec des mots. Orpaillage d’une rivière qui se perd dans les sables.

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Quelque chose se défait de l’humain, dans une sorte de folie morne où chacun ressemble à chacun et s’agite, pour rien, incapable de se supporter, seul face à lui-même, dans une

chambre aux dimensions plus vastes que la terre.

 

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Le seul voyage à entreprendre est celui que l’on fait en soi-même, dans ce territoire pour lequel aucun guide n’est écrit, où tout change sans cesse, et dont nous ne parvenons à explorer, si grands que soient nos efforts, qu’une infime partie.

 

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Lenteur. Toujours plus de lenteur au centre du silence dont j’écoute le bruissement, ce je-ne-sais-quoi autour de moi, comme la giration des astres.

 

Carnet des poussières

 

29 mai

La littérature, cette littérature dont on fait à la fois si peu de cas et si grand cas, a chaque jour un peu plus, puisque le livre est de plus en plus assimilé à une marchandise, un double visage. Un temps, les deux parties de ce visage furent à peu près égales. Le visage douloureux et le visage rieur s’équilibraient. Aujourd’hui, les choses sont moins claires. Une fausse légèreté a gagné la partie et les livres graves, interrogeants, sont de plus en plus repoussés par les livres de pur divertissement, livres porteurs d’oublis, vite oubliés d’ailleurs, qui ravalent la littérature au rang d’anodin tranquillisant. Il est certain que le lecteur moyen n’aime pas être dérangé dans sa digestion. Thomas Bernhard ou Beckett et quelques autres, sont, bien sûr, plus difficiles à assimiler qu’Amélie Nothomb ou Anna Gavalda. Les œuvres de ces auteurs (Bernhard et les autres), sont ce coup-de-poing sur la nuque dont Kafka faisait la vertu d’un livre digne de ce nom. Comme, en plus, réflexion sur l’homme, ils sont emploi singulier de l’écriture, l’effort qu’ils demandent est double. Or ces livres, qui nécessitent qu’on s’arrête un instant sur leur seuil, qu’on ne se précipite pas dans le labyrinthe qu’ils nous proposent, sont mal aimés des éditeurs qui préfèrent voir s’engouffrer une foule de lecteur peu exigeants dans un large portail sans mystère. De jour en jour, sans bruit, le monde se transforme, glissant vers la paresse mentale et le stéréotype. La langue, médias aidant, même dans les milieux où elle devrait être surveillée dans son évolution, car une langue, et c’est normal, et c’est souhaitable, évolue, est saccagée dans le sens de la paresse. Elle perd de son acuité, se salit de démagogie, se fossilise en formules et n’est plus perçue, par le plus grand nombre, y compris, hélas, pas mal d’écrivains, que comme un simple véhicule à anecdotes, au lieu du contraire. Étrangement, dans ce monde qui ne cesse de parler du corps, le corps réel est oublié au profit de son image, dont l’entretien induit toute une industrie. Mais la jouissance du corps, dans sa réalité profonde, où est-elle ? Or parler, écrire, même lorsqu’on dévoile, dénonce, attaque et blesse est jouissance. D’où vient alors chez les journalistes et autres porteurs de paroles, cet appauvrissement volontaire, dans les rédactions, du vocabulaire et de la grammaire ? Violence silencieuse, insidieuse envers la langue. Violence parmi tant d’autres, minuscules, tatillonnes ou, au contraire grossièrement spectaculaires, mais violence toujours, à chaque instant, de la part de subalternes qui trop souvent abusent de leur minuscule pouvoir.
Ce que j’écris là est connu et je sais que je ne découvre rien, mais je l’écris pour moi-même, je l’écris pour le plaisir de le formuler à ma manière, pas excellente sans doute, mais au moins la mienne. Puisse cette pratique de la reformulation se répandre c’est-à-dire, plume en main ou face à l’ordinateur, cet essai de réflexion à travers la langue. Qu’on me laisse rêver !


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Malgré mon amour de la vérité, je sais que la façon dont je vois mon passé n’est à peu près que mensonge. Outre que nombre d’événements sont sortis de ma mémoire, ceux qui restent sont faussés par le combat perpétuel entre ce que je fus, contradictoire, incohérent, faible, parfois lâche, et ce que j’aurais aimé être. Toute autobiographie, si honnête que soit son auteur, est en grande partie erronée. Au fond, les grands menteurs, comme Joseph Roth, qui se réinventent une vie, ne sont pas plus faux que ceux qui prétendent à la vérité. Ils ont même souvent le mérite d’écrire une histoire bien plus intéressante que le plat récit qu’ils auraient donné s’ils avaient eu la plus parfaite honnêteté et une excellente mémoire.

 

René Pons

Publié dans Les marcheurs de rêve

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