Un violon sur la mer
« Vos poèmes m’enchantent, en vous lisant je pense à René Guy Cadou, j’éprouve pour votre écriture la même émotion qui naît de l’évidence », lui a écrit Jean Ferrat. Beau compliment que cette référence au poète de Louisfert. Et mérité. Car cette poétesse que je découvre raconte bougrement bien la rondeur des jours en se gardant des « mots de triche ».
Elle vient de publier « Un violon sur la mer »
Même quand « le texte piétine dans ses doutes », la poésie d’Ile Eniger a quelque chose de fort à dire. Fort comme le froid qui « étrangle le ruisseau, mord les doigts, fige l’eau dans la gamelle du chien », fort comme la sève et, au jardin, « l’arbre (qui) porte bravement ses cerises », fort quand « le quotidien fait bonne mesure », fort comme « l’écrire simple pour quitter l’orgueil ».
Cette poétesse que j’avoue découvrir seulement, alors qu’elle a publié dans de nombreuses revues amies et fait éditer une quinzaine de livres, raconte bougrement bien la rondeur des jours en se gardant des « mots de triche ». Elle évoque, d’une écriture sensuelle et pleine de vitalité, les saisons par petites touches, le printemps quand « des ailes agitent leurs oiseaux », l’hiver quand « la brume s’installe qui rend pudique la nudité des arbres », les feuilles d’automne « plus proches de l’humus que de la virevolte ».
Le bonheur d’être
La poésie s’épanouit ici à partir de la notation : « Écrire commence par un caillou, un grain de pluie, une plume abandonnée par une grosse poule blanche ». Elle se poursuit dans une sorte de jubilation : « La main écrirait seule si on ne la tenait. Elle trouerait même le papier, des fois que par l’accroc passerait la lumière. » En respectant cette injonction qui fonde son art poétique : « Vire les adjectifs, les roses les mauves et autres poétailles. Vire les fioritures les effets les jolis les paillettes qui prennent en otage. »
Mais le charme de la poésie d’Ile Eniger tient à ce que l’énergie de sa phrase n’interdit nullement l’expression d’une certaine fragilité, voire du manque et du vertige existentiel : « Je picore une tartine, traîne mon matin comme une sans appétit. Je voudrais quelque chose. » Même délicatesse, quasi impressionniste, pour laisser deviner l’émotion ténue, fugace, impalpable, du bonheur d’être, dans ce beau poème qui clôt le recueil :
« Elle étendait sa lessive. Avait levé les yeux pour interroger le temps. C’était un matin ni plus ni moins matin. Rien d’autre qu’un ciel et son poids de jour. Puis il y avait eu ce mouvement d’air sur ses mains. Quelque chose la touchait. La reconnaissait. La nommait. Quelque chose venu de loin. Du bout du bout. Qui la faisait vivante. Une jubilation levée d’une vieille racine. Quelque chose qui ouvrait les fers, la journée, la vie. Qui la portait haut. Une confiance. L’origine et le but. Elle, enfin réunie. Souviens-toi la joie, avait-elle dit. Souviens-toi la joie. Puis elle avait continué à étendre son linge. Elle n’avait pas expliqué cet instant, sa plénitude. Elle n’avait pas les mots. Elle avait gardé la force et la lumière. »
sur le site Texture de Michel Baglin
Poète et romancière, Ile Eniger se dit passionnée. Persuadée que rien n’est impossible, elle affirme écrire « dans la rigueur et l’exigence, la terre brûlante, l’incontournable amour, la lumière silencieuse, le fil à parcourir plus haut que les tiédeurs et les habitudes ».
Elle vit dans un minuscule village de l’arrière-pays Niçois, « entre le feu et la glace ».
Elle participe à de nombreuses revues littéraires à des lectures publiques, cafés littéraires, salons du Livre et ateliers d’écriture. Mais aussi à des spectacles poétiques avec la Cie « La Dégaine Rêve ».
Son blog : http://insula.over-blog.net/