Les barreaux

Publié le par la freniere

Dans une tempête de mots, les rayons du soleil ne portent que poussière. J'écris avec mon doigt sur les vitres, la table, même les murs. Les hanches font la houle en fredonnant Body and Soul, les anches des hautbois, les lèvres des trompettes, la bouche des gazous. Les guitares font la manche. Le moindre pas d'un homme laisse une plaie sur la route. Au cri salarial des horloges, je manque à l'appel. On n'est jamais ce qu'on devient ni ce qu'on voulait être. Je cherche une fontaine dans les buissons ardents. J'attends la mort des dieux. Chaque nuage transporte la pluie de mon enfance. Je trie les mots un par un, une part de chair et de silence, une part de peur et d'infini. Quand le rêve est blessé, les béquilles de la réalité ne suffisent plus. Le sens est alité sur la civière des mots. C'est comme la fin du jour, du siècle, de la vie, un texte auquel manqueraient les phrases. Même sans piano, les Gnosiques de Satie résonnent dans ma tête, jouées par un picbois ou les élytres d'un insecte. La fréquentation du néant ouvre de nouveaux horizons. Il est difficile d'avancer droit avec les pieds dans un monde et les pensées dans l'autre. Il y a toujours une âme qui tousse au fond de l'homme. Il suffit d'un sourire pour affronter la nuit. Pfuit, le soleil apparaît et les mot se couvrent de rosée.

 

Est-il nécessaire de tout casser pour vaincre l'inertie, de faire tant de vacarme pour contredire le silence? A-t-on besoin d'un trou au cœur pour se savoir vivant, d'un pansement sur la peau, de la béquille des mots? A-t-on besoin d'être nu pour affronter le froid? A-t-on besoin de mourir pour justifier sa vie? A-t-on besoin d'un Dieu pour croire aux hommes? On s'accroche aux fantômes qui viennent gratter aux portes et marchent dans le noir, à ceux qui vident les verres et ramassent les miettes, aux amoureux des cimetières qui réveillent les morts, aux lettres oubliées dans les boites postales. Tous les poètes se nourrissent de cadavres. Leur encre est une bave d'escargot. Les oiseaux volent bas quand les arbres grelottent. Ils se réchauffent comme ils peuvent sur le rebord des vitres. Les gouttières jouent du coude. Les mots correctement vêtus cachent toujours quelque chose, un manque d'âme peut-être. Je les préfère nus, avec un doigt en moins ou un œil qui louche. Je suis armé d'une plume comme d'autres d'une pelle ou d'un marteau. La même terre nous unit. J'ai les doigts tachés d'encre et d'humus.

 

Entre les passions et les odeurs, où est la place des idées? Entre les peurs et les images, où est la place des sentiments? Pourquoi tant de haine et de blessures ouvertes, tant de fractures et de factures de guerre? Pourquoi tant de morts en si peu de temps? Parce que la vie sans la mort ne serait pas la vie. Parce que la mort sans la vie ne serait pas la mort. Entre l'absence d'empathie et le déluge des larmes, pourquoi n'est plus un mot mais une autre question, une cicatrice au corps du délit, une aorte bloquée au cœur de la présence. S'il faut percevoir les âmes, que ce soit par la peau. J'ai faim d'autre chose que de pain et de vin. Il faut du vide pour le remplir. Chaque regard, chaque pas, chaque geste sont un point de départ. Il faut apprendre à vivre en dehors de soi tout autant qu'en dedans. Nous avançons toujours à deux doigts du miracle, mais nous gardons les mains au fond des poches. Je fais les cent pas dans ma tête. Les doigts sont les enfants de la main. Ils agitent le hochet du temps, s'amusent avec les jouets de l'air. Un livre est aussi beau qu'un lac. Dans l'un comme dans l'autre, on doit apprendre à nager. Chaque phrase porte à la fois son antidote et son poison. Chaque page d'un livre est un volet de papier par où pénètre la lumière. Les parfums des fleurs sont aussi des paroles comme la pluie qui fait chanter la tole. J'écris dans la tension et l'attention, le cru et le non cru. Mon cœur est une corde raide. Dans tout ce que j'écris, c'est moi qui est de trop. Je dois apprendre à disparaître, laisser place aux fantômes, des trous entre les mots, des routes sur la page, laisser une fillette danser entre les lignes. Les yeux de l'écrivain devraient être comme ceux de la chatte guettant sa proie. Je lis avec les yeux, les mains, le nez. Je prends une douche de musique pour me laver le cœur, un bain de pieds sur la page. La musique fait reluire les atomes de l'air.

 

Il ne sert à rien d'amasser de l'argent. On n'est jamais riche qu'à un sou près. Un pas vers le moins n'est pas un pas vers le plus, mais un pas vers le mieux. Après un certain temps, les bungalows ont tendance à devenir des prisons. Enfermées dans les choses et cernées d'apparences, toutes les âmes s'y étiolent. Il ne sert à rien d'ergoter avec nos fantômes. Ils sont du même côté du mur et cherchent la sortie. Le seul fait d'être en vie tient déjà du miracle. Dans le courant d'une heure, les minutes s'arrangent à l'amiable quand les secondes font la tête. Le passé et l'avenir font le jeu du présent. Il n'est pas toujours évident d'écrire avec des lieux communs. Il y a des trous et des falaises, des sophismes et des manques, des points sans suspension, des paragraphes sans ponctuation, des phrases décousues avec des mots habillés pour l'hiver. Il suffit d'un prétexte pour déraper d'aplomb. Les p piétinent le papier. Les t pianotent. Les g bombinent comme des guêpes, les b comme des bègues. Les mots sont des bolets bouffés par les limaces. On en cherche le sens. Pour être bien portant, il faudrait que l'enfance résiste à tout, surtout à l'âge des adultes. Les plus vieux arbres représentent ma jeunesse. J'y grimpais de branche en branche. Je cherche encore un arbre qui m'offrira son âme, de quoi nourrir la vie.

 

Le bois dont on fait les cercueils est le même dont on fait les guitares. Les hommes ne méritent pas l'amitié des hannetons, le salut des oiseaux. Ils ont troqué le cyprès pour une âme en carton, le chemin des ânes pour le trajet des tanks, l'embellie des forêts pour le sentier de la guerre. Les collines d'en face font le dos rond. Ils mirent leur visage dans l'eau du lac. Le vent se lève sans avertir personne. La moindre feuille en loque, la moindre manche de chemise sur une corde à linge se mettent à frissonner. Obèse de rêve et d'espérance, mon cœur chante comme une bouilloire mise au feu. J'écris pour que les morts rejoignent les vivants. Lorsque s'arrête le sentier, les pas cherchent encore ce que la route voulait dire. Il y a des pas qu'on ne voit pas, des chemins qu'on ignore. Une nuit sans étoiles et sans lune se supporte moins bien. Une journée sans soleil rature l'horizon. Le nerf s'est perdu mais le venin s'étale. Je croise sur ma route des gardeuses d'affaires, des shineurs de cossins, des revers de médailles, des fontaines de Jouvence, des croqueurs de nuages, des porteurs de blessures. Les hommes, sans distinction, plus ils acquièrent moins ils sont. Il faut les ailes d'un avion, les lèvres d'un canon, pour dire le mot bombe. Le mot amour ne pèse rien mais englobe l'univers. Je voyage en hauteur, du pied de la falaise jusqu'aux bras des arbres, des racines jusqu'aux feuilles, de la terre jusqu'au vent. Les barreaux de la cage, j'en ai fait une échelle.

 

Jean-Marc La Frenière

Publié dans Prose

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