L'orage
Le silence des oiseaux est un arc tendu entre deux chants, une corde bandée entre deux cris. La cible d'une oreille se mêle aux autres sens. Je me glisse entre l'ombre et la lumière comme le triton qui nage, un têtard entre les nénuphars et la vase des marais. La multiplication des pas crée la route, celle des chants et des mots la grandeur de l'écoute. De grands oiseaux se posent sur le silence des éteules. Des milliers d'insectes jouent aux dames avec des grains de sable. La terre reçoit l'orage comme un grand verre d'eau fraîche. Le vent défrise les épis, grattant les barbes d'eau laissées par les nuages. Je fouille ma mémoire, comptant les œufs de perdrix, les poules d'eau, les œufs de la rivière, les têtards des marais, les rêves accrochés aux algues du sommeil, les franges qui blanchissent dans les tons gris du ciel. Les regards se perdent entre la nuit et l'eau. Il est pourtant midi.
La foudre éclate au ventre des nuages. Les éclairs s’interpellent comme des bras de lumière, des doigts télescopiques. De loin en loin, des mèches de foin prennent feu que l'eau calme aussitôt. Les bras des arbres s'ouvrent pour accueillir les oiseaux. Les cardamines saignent. Les gousses d'ail explosent sous la terre. Les pissenlits s'ébrouent, laissant des traces de jaune au poil des musaraignes. Les pommiers en fleurs répandent leur parfum. Les fruits lourds se détachent. Les abeilles s'agitent dans le secret des ruches. Les fleurs entrouvrent leurs boutons comme des chemise de fille, mettant l'eau à la bouche de l'air. Des lézards s'épivardent par les lézardes ouvertes. Des monticules s'éboulent sous la poussée des eaux. Les vers se nourrissent des débris végétaux, des feuilles dans les flaques, des avoines couchées sous les branches trop sèches. L'orage lave tout avec son bruit énorme et ses lueurs de vie. Je cherche un coq d'eau dans la volaille de la pluie.
Jean-Marc La Frenière