Le rire des cailloux

Publié le par la freniere

Entre la brume du lac et les nuages roses, le soleil sort de son hamac. Il marche sur le toit de la grange et glisse vers le sol. J’ouvre la porte au loup, la fenêtre aux oiseaux, ma poitrine aux années. La chatte dort dans mes souliers. À défaut de me suivre, elle voyage par l’odeur. Lorsque je vais au bois cueillir des pensées, je ne croise pas Descartes mais Thoreau ou Whitman. Je ne lis pas Sollers mais Norge ou Guillevic, l’érable ou la fougère. Je ne sais pas écrire mais je dessine en mots ce que l’on ne voit pas. Je n’habille pas mes phrases en prose de notaire mais en argot du cœur. Je ne vêts pas mes rimes en garamond, mes pieds chez Gallimard, mes phrases en papier bible. Un vieux Larousse échevelé me sert quelque fois de restaurant du coin, de bar ou de brouette. Mes voyelles boitent sur la page. Mes virgules traînent un peu partout et s’endorment à l’ouvrage. Je ne baisse pas la tête. Lorsque je m’agenouille, c’est pour planter des arbres. Je me relève en sève, en érable ou en pin.

Je bâtis des nids avec du rêve et de la paille, la lumière qui grimpe les échelles, les baisers contournant le silence. Je fais cœur avec le blé gonflant le pain, l’amour donnant le sein, la vie mordant les mains, les pas sur le dos de la route, le rire des cailloux culbutant les ruisseaux. Je fais corps avec la nuit quand elle aime le jour. Je ramasse les vies tombées du nid, les mots tombés de la bouche, les promesses oubliées. J’ajoute des roues au chariot du bonheur, de l’huile sur le feu, des braises sur la neige. Je mets des ailes aux manchons pour qu’ils apprennent à voler, des feuilles aux arbres à came, du poivre aux statues de sel. Un oiseau porte jusqu’au nid mille fois le brin d’herbe. Mille brins d’herbe s’ébrouent sous la caresse de la pluie. Mille pluies donnent au temps le visage des pierres.

Il suffit de si peu pour éloigner la mort, un corps en vie au cœur ouvert, un rêve à deux joignant ses rives, un bol de café chaud, un peu d’eau froide, un casseau de baisers qui rougissent les lèvres comme des fraises sauvages. La vie rigole dans un ruisseau où je marche pieds nus, l’espérance à la main en guise de panier. Pour aller plus haut, je m’agrippe à la page comme un arbre à la terre. Je sais ce que dit la pluie, mais comment l’exprimer. Je cherche le chemin conduisant au chemin, les mots disant les mots, le cœur touchant le cœur. Je cherche dans l’oiseau le secret de la fleur. Je cherche dans la pierre la force des étoiles, le vol dans l’oiseau, la sagesse dans l’homme, la tendresse dans les gestes. Une graine à la main, je cherche le jardin où semer l’espérance.

 

Jean-Marc La Frenière

 

Publié dans Prose

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