Petite prière
Je prie souvent le papier, l'encre, la grammaire, comme un croyant le ferait pour un Dieu. Je prie le vol d'un oiseau, le dieu de l'herbe et des galets, le dieu des bols à soupe et des cuillères en bois, le petit dieu des mots sur l'autel d'une page. Nul besoin d’icône. J'ai de la tendresse pour les tables bancales, les vieilles réguines, les ombres des fantômes, les peluches éventrées, les murs de guingois, l'odeur des fruits de cave. J'aime les araignées, les papillons, les termites charpentières, les petites choses de rien, les aiguilles perdues dans une botte de foin et la verge d'un mot dans le pubis d'une phrase. Je collectionne les faux pas, les fautes de frappe, les lapsus, les breloques de l'âme. La pensée sautille comme un cœur qui palpite. Tous les gestes en dépendent, même les tics. Mes yeux derrière la vitre prennent le goût des fraises. Mes mains rejoignent l'horizon. Il suffit d'un crayon, d'un souvenir d'enfance, d'une prémonition. Il suffit d'ajouter un nuage, un petit bruit de mort, une ombre de géant. On n'est jamais seul quand on écrit. On communique avec tout, même ce qu'on ignore. Les mots prennent l'odeur des choses qu'elles nomment. À force de vendre ou d'acheter, la langue de bois se gangrène. Les orties envahissent les draps. Là où les mots aident à mentir, mes phrases tirent le volet. Elles se reposent dans une chambre nue. Mes cahiers s'empilent. J'y suis à nu, mais je me cache derrière eux.
Jean-Marc La Frenière