Deux chevaux de trait
C'étaient deux chevaux de trait, Pompon et Matelot, un blanc, un bai. Les matins froids de mars voyaient l'un ou l'autre, parfois les deux, tirer la charrue, fendre la croûte dure jusqu'au gras noir des terres fumantes comme leurs naseaux. La piqûre du froid ricochait sur le cuir de leurs muscles tendus. Le pas tranquille et sûr, ils arpentaient un travail régulier. Parfois, l'homme derrière la houe s'arrêtait, les bêtes secouaient leur crinière dans un bref hennissement, approuvant ce temps de repos. Puis, sans parole, le paysan les flattait à l'encolure et le travail reprenait, paisible dans la solitude d'hiver. Parfois, j'allais les voir, à l'écurie quand ils se reposaient. Je leur racontais ma vie d'enfant. Ils écoutaient l'œil amical, l'oreille tendue, une brassée de foin au coin des lèvres qu'ils mastiquaient placidement. Ils s'appelaient Pompon et Matelot, de bons chevaux de trait qui vieillissaient sans heurts. Un jour, ils sont partis, on ne m'a jamais dit où mais j'ai vu Grand-Père essuyer ses yeux devant les stalles vides.