La vie s'effluve

Publié le par la freniere

Le temps qui passe fait un horrible bruit. Les lendemains ne chantent pas, ils crient comme une bête à l'abattoir, une poulie qui grince, un coq de basse-cour à la gorge enrouée. Ouragans, tsunamis, tempêtes, tremblements de terre, la météo est de moins en moins à court de catastrophes. Des poches de pleurs pendent aux arbres tuméfiés, à leurs branches arthritiques. Les boulangers empoisonnent le pain et Monsato nourrit les hôpitaux. Bientôt les femmes gravides accoucheront de morts-vivants. Incapables de refréner notre insatiable soif de pouvoir, nous crèverons sur une montagne de rebuts. Sur une planète entière transformée en décharge, la mer n'est déjà plus qu'un égout collecteur. La vie grossit comme une tumeur dans la chair du monde, un virus, un cancer provoqué par les hommes. J'ai parfois honte de succomber à la comédie humaine, de me soumettre à la critique et aux regards des autres. Il faut mettre les points sur les poings et les jambes en Y. J'écris par plaisir, tout simplement, pour ne pas que la page du jour reste bréhaigne des mots que j'aime tant. Je me répète, je le sais. L'écriture est comme la musique, elle revient constamment sur ses thèmes. Elle brode et improvise avec l'alphabet. Le monde entier repose sur une poignée de lettres. Un stylo bouge dans ma main comme la branche de coudrier dont se sert un sourcier. Le crayon parfois s'avère une baguette magique.

Ce n'est pas la pluie qui invente la plante, mais elle l'aide à grandir. Sous l'averse qui tombe, l'eau nous monte à la bouche. L'air a un goût de fruité. Les gouttes éclatent comme des bulles de raisin. L'herbe se saoule de fraîcheur. On entend l'humus digérer les borborygmes du sous-sol, les insectes qui se mettent à l'abri. L'haleine de la terre se mêle à la bouche humide du vent. La vie s'effluve constamment, m'envaste, m'envahit. Dans la course du temps, en turbo géant ou petite cylindrée, il faut ajouter l'âme au cœur sous le capot, troquer l'essence pour l'huile à bras et l'esthétique pour l'éthique. Des enfants bombardés jouent encore au ballon, se pognent le cul dans les fonds de cour, sautent à la corde, à la marelle, à saute-mouton, mangent leur main et gardent l'autre pour demain, alors que d'autres n'en peuvent plus de vivre. Malgré les suicidés, les condamnés à mort, les consciences endormies, la terre fatiguée, perdre espoir n'est pas une option. À sa condamnation, Paul Rose n'a pas baissé les bras, il a levé le poing.

Des milliers de microbes habitent la goutte d'eau. Des millions d'acariens respirent dans le creux des tapis et le ventre des lits. Dans chaque muscle de vie, la mort est aux aguets. Couché sur le dos, je vois le ciel. À genoux sur le sol, je regarde la terre. Les arbres n'ont plus d'ombre. J'injecte à mes oreille une drogue musicale. Le printemps a une odeur de femme, de cyprine et d'ovaires. L'eau bouge au fond de moi. Le vent touche l'eau de ses doigts malhabiles et les vagues frissonnent. La mer moutonne. L'éclair entonne le tonnerre. Mille bouches d'égout retrouvent le sourire. Sur le point de pleurer, les saules se ravisent et se mettent à chanter. Les jambes nues des filles frétillent d'impatience. Les vieux amants s'enlacent. Toute la terre est en rut. Les graines éclatent gorgées de phéromones. Les premières fleurs éclosent. Les bêtes se font la cour, de l'orignal bandé au pipistrelle chantant, de la taupe alanguie aux œufs de ver à soie. On avait hâte d''être dehors. Il faudrait pour une fois apprendre à mieux aimer. Il faudrait vivre comme les arbres, solitaires dans la plaine, solidaires en forêt. Il ferait bon marcher sans les mensonges économiques, sans escompte ni pourcentage, sans échéance ni papier. L'art de penser autrement donne des ailes à ceux qui restent jeunes.

Jean-Marc La Frenière

 

Publié dans Prose

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