Poupées de mots

Publié le par la freniere

À quoi bon se conter des histoires? La vie se passerait bien d'habits s'il ne faisait pas si froid. Il y a des choses plus importantes que la gloire et l'argent. Quand les abeilles meurent dans les ruches, il faut savoir pourquoi. Le temps tient ses promesses quand l'homme pollue jusqu'à la vie. Les glaciers fondent. Les trous dans la couche d'ozone s'agrandissent. Il faudra plus que des mots pour refaire les mailles, plus que l'espérance et des prières, plus de bleu dans l'azur, plus de vers dans la pomme, plus de rouge à la honte, moins de polices et de soldats, plus de faillites à la banque. Il ne faut plus d'essence. Il faut protéger l'enfant d'être un adulte. Tout jeune, j'avais des camions pleins de phrases. Je volais à ma sœur ses poupées de mots. Je semais pour demain dans la terre promise du silence. Le temps perd ses heures. Ce temps mort est comme un tas de feuilles où l'on n'ose pas mettre le feu. C'est comme un livre qu'on feuillette. C'est comme on jette sur le sol une poignée de sel. C'est comme on touche de ses yeux la ligne d'horizon. C'est comme on couche dans la nuit des phrases de lumière. C'est pareil à la porte qui claque, au verre qui se brise, à la fleur qui pousse, à l'oiseau qui s'envole vers la plus haute branche. C'est pareil à la vie. C'est pareil à la mort. Dans la cuisine des mots, il y a des phrases bleues, saignantes, à point, carbonisées. Peu importe. À défaut d'un livre de recettes, je fais confiance à l'alphabet. Le texte est une invitation à nourrir son âme.

Les mots inventent les choses, mais l'homme invente le langage. Un peu d'eau sur le sol, un peu de bleu du ciel, un peu d'encre sur la page, et je me sens lavé. Dans la nuit la plus noire, je rêve de lucioles. Je rêve de rosée sur les fougères de l'aube. Je rêve d'une voix dans l'étouffant silence. On a trop de tout, mais quelque chose manque dans ce monde. Sur les réseaux sociaux, la plupart des mots sont vides. Il manque les mots des pauvres gens, des poètes, des enfants. Il manque le cri des bêtes, les chants d'oiseaux, toutes les couleurs des peintres. Il manque les sonates de Bach, la folie de Mozart, la légèreté des fleurs, l'enchantement des étoiles. Il n'y a plus de chemin, mais on compte ses pas. Il n'y a plus de sens, mais on cherche à répondre. Il n'y a plus d'espoir, mais on compte ses sous. Il n'y a plus rien à dire, mais on cherche ses mots. On mise. On remise. On n'en finit plus de miser, jusqu'à perdre sa chemise. Nous sommes sans défense devant les armes économiques, sans mots devant le bruit des tiroirs-caisses. Nous sommes sans amour quand il s'agit d'argent. Nous sommes sans parole devant l'espace que l'on vole aux oiseaux. Je parle et je me tais. Je m'agite dans la poussière des mots. Je passe le balai sur le parquet des jours. J'époussette les ombres. Je chiffonne ma voix comme un sac en papier. J'écris. C'est une façon comme une autre de vivre, de rire ou de pleurer, une façon comme une autre d'aimer.

Nous sommes frères et sœurs des catastrophes et des miracles. La vérité nous mord le coeur avec ses dents de loup. Les choses qu'on oublie se confondent avec l'éternité. Elles n'ont pas le poids des souvenirs, la chaleur des flammes qui noircissent la mèche, la force des mémoires qui soulèvent des fontes. La vie est éphémère. Dès le début, la fin est déjà là. Les jours disparaissent comme des flèches égarées. Le corps du monde tressaille sous leurs pointes pleines de sang. J'avais une maison où les bêtes sauvages n'avaient pas peur d'entrer. Ici, dans un appartement, aucun loup n'accompagne mes phrases. Je cohabite avec l'absurdité, l'écran télé et les réseaux sociaux. Je préférais de loin les roseaux et le babil des oiseaux. Le cocon des images sécrète un papillon, une phrase légère, le vol d'une chanson. Le centre du monde est au centre de chacun. La vie, ce sont des morts côtoyant des vivants. Il y a toujours comme une aile oubliée au défaut de l'épaule, le frisson d'un ange dressant les poils de bras. La langue et les cordes vocales forment un crayon sonore. La vie est pleine de crocs-en-jambes. Sur le point de tomber, c'est souvent la langue qui trébuche ou bien le sol qui disparaît. On tombe et se relève mille fois. À chaque souffle, chaque pas, chaque mot. Chaque œillade à l'azur nous lave le regard. On traverse l'hiver dans l'attente des fruits. L'arrivée de l'été fait chanter les cigales. Ce n'est pas avec une voix de plume que trissent les oiseaux, mais d'une voix de gorge, de rouge-gorge et de Bach. Je déchire d'un trait la boite du silence, d'un simple coup de crayon, d'une pichenette de chair. Je la remplis de mots, de comptines et d'amour, d'un peu de peur aussi, d'un peu d'air et de vent, des bruissements de l'eau, d'une petite lumière comme une aile d'insecte. C'est mon nom que j'efface en écrivant ces mots. La neige noire de l'encre laisse flotter l'horizon. C'est une hémorragie de mots. J'arrose l'alphabet avec un encrier. Des lambeaux de français s'échappe du silence.

Jean-Marc La Frenière

 

Publié dans Prose

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