Une semaine de cent ans (extrait)
Loin de tous ceux qui parlent fort, ceux qui possèdent et dépossèdent, loin de ces morts repliés sur eux-mêmes, de ces forêts sans arbres au décor en transit, du clinquant des vitrines et du strass des stars, loin de ces hommes aux pieds de cendres, je me sens bien ici parmi les traces de chevreuils et les fragments d’écorce. Même l’orage me rassure. Le soleil est en place. Les corneilles tournoient. Les chiens réclament leur pitance. Les chats se font les griffes sur le sofa du jour. Perché sur un baril, un colibri fait sa toilette. Appuyé sur le poteau du temps, j’ai cinq ans, quarante ans, soixante ans. Qu’importe. Je suis comme un enfant qui s’apprête à marcher. Je prends la main du vent pour avancer d’un pas. Le bonheur est peu de chose, l’odeur du café, la rosée du matin, la terre mise en mottes, deux ou trois fleurs en botte, les émois d’un petit coeur devant l’immensité. J’appuie mes mots sur du papier comme des pas sur l’infini. La différence entre les différences n’est pas celle qu’on voit. Mes mots s’enfoncent dans la terre. Mes phrases ont des racines. Je lis entre les lignes comme un arbre dans le ciel. Tel une abeille avide, j’enfonce mon crayon dans le coeur d’une fleur pour en extraire le suc. Je suis ivre de vie.
Jean-Marc La Frenière
à paraître bientôt aux Éditions La Draiglaàn