Les athées: minorité oubliée

Publié le par la freniere

Je suis athée, comme des milliers d’autres au Québec. Je fais partie d’une minorité qui croit que ceux et celles qui pratiquent sérieusement une religion au point où elle régule toute leur vie souffrent d’un délire collectif, estime l'auteur.

Ce texte est hérétique. Il est presque séditieux. Il est en tout cas en marge de la rectitude politique. Il se veut une réponse à ces juges qui protègent la liberté de religion contre cette loi fort timide pourtant, qui réglementerait le port de signes religieux. Il veut parler au nom d’une minorité invisible et inaudible. Il prend le parti de tenter de mieux nommer les choses pour éviter, comme le disait Camus, d’ajouter aux malheurs du monde. Il espère semer le doute chez des gens qui ne vivent que dans des certitudes inattaquables, protégées par toutes les chartes. De façon plus réaliste, il aimerait donner envie à ceux et celles qui pensent au lieu de prier de le dire haut et fort. J’en ai assez de devoir faire des génuflexions de complaisance devant la sacro-sainte liberté de religion, exempte d’impôts, détentrice de tous les droits, y compris celui de bafouer les femmes ou de priver les enfants d’une véritable éducation. J’en ai assez de revendiquer qu’on cesse de m’imposer le voile ou le crucifix alors que, soyons honnêtes, c’est carrément Dieu que je veux enfin voir disparaître du décor.

Je devais avoir sept ou huit ans lorsqu’en m’amusant avec les jouets que le père Noël venait de m’apporter, j’ai découvert ses habits dans le fond du placard. Un monde venait de s’écrouler. Des années plus tard, ce sont les livres qui ont à nouveau fait basculer ma vie. Dieu ne serait donc que la version pour adultes du père Noël? Conduis-toi bien et tu seras récompensé.

Malraux aurait dit il y a longtemps: «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas.» Il reconnaissait ce besoin universel de réprimer ses peurs et ses angoisses derrière le mur de la certitude, que d’autres appellent aussi la foi. Il avait peut-être compris que, dans une société où l’éducation et la pensée scientifique prennent de plus en plus d’importance, il était inévitable que ceux et celles qui n’ont accès ni à l’une ni à l’autre sentent leurs certitudes menacées et ripostent par tous les moyens.

Dans notre monde post 11 septembre 2001, il est devenu impossible de confronter voire de seulement questionner ces individus pour qui le doute est l’ennemi à abattre.

Je ne m’en prends pas ici à une croyance en particulier ni aux croyants de pacotille qui ne vont à l’église ou à la mosquée que pour se marier ou pour mourir. Je parle de ceux et celles qui croient fermement à l’un ou l’autre de ces livres sacrés qui exigent de nous la mise en veilleuse de la raison et du sens critique.

Comment réconcilier leur monde et le mien autrement qu’en me taisant au nom du respect de leurs croyances?

Je ne parviens pas à discuter avec des gens qui disent savoir qu’un créateur est à l’origine de tout, que ce créateur se préoccupe d’eux personnellement et qui prétendent surtout savoir qu’ils le rencontreront une fois morts, dans un paradis quelconque.

Comment font-ils pour en être si sûrs? Quel pouvoir extrasensoriel que je n’ai pas possèdent-ils?

Pensée magique

En ce qui me jusqu’à preuve du contraire, j’ai mis la création de l’existence à partir de rien et la vie éternelle au rang des possibilités improbables. Dieu, lui, appartient à la catégorie de la pensée magique. Je suis athée, comme des milliers d’autres au Québec. Je fais partie d’une minorité qui croit que ceux et celles qui pratiquent sérieusement une religion au point où elle régule toute leur vie souffrent d’un délire collectif. Je les tolère au nom d’une société que je veux libre et égalitaire, mais je revendique mon droit de dire le dégoût que m’inspirent des siècles d’obscurantisme religieux que ces gens s’évertuent à perpétuer.

Pour ma part, je n’impose mon choix à personne, je ne demande aucun accommodement, raisonnable ou autre, j’invite la critique vigoureuse et intelligente de ceux et celles qui sont en désaccord avec moi, et je doute chaque jour de ma vie. Oh! Et merci à mon oncle Henri qui a mal caché son déguisement dans le placard. Sans le vouloir, il a contribué à faire de moi un être pensant.

La seule angoisse aujourd’hui que je ne parvienne pas à calmer grâce à l’amour de mes proches, à l’art, à la beauté des lieux et des mots, ou à la bonté et au génie humains, est celle de voir un jour ce monde retomber sous le joug des adultes qui, par ignorance ou manque d’imagination, croient encore au père Noël. Cette peur est alimentée par l’omniprésence de la religion dans nos débats publics.

J’en ai assez qu’il n’y en ait, certains jours, que pour les signes religieux, les accommodements, les cours d’éthique, les errances identitaires et les braises de l’intolérance.

Alors qu’on gaspille tout ce temps à vouloir protéger les droits de ces fabulateurs moyenâgeux, la souffrance humaine, bien réelle, se répand sans que jamais aucune intervention divine vienne la soulager.

 

Benoit Léger          Le Devoir

 

Publié dans Glanures

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