À mon pays retrouvé

Publié le par la freniere

Je reviens en septembre, le mois de ma naissance, dans un camion

                              presqu’animal,

et la phrase sourde du moteur comme une berceuse de l’enfance

conte l’histoire d’un homme et de son sac de sable.

Mon pays est plus vaste que mon bagage.

Le ciel encombré d’un nuage géant et le dos basculant de la terre

que je vois respirent comme un bœuf à l’énorme poitrail.

C’est un matin enluminé de fermes blanches et d’arbres

aux feuilles filantes comme mes pensées,

et depuis l’appel du premier corbeau piquant du bec

et de l’âme le reste ensoleillé des blés qui ont marché partout,

ma joie déborde comme la paille des granges.

Des voix longtemps éteintes m’attendent dans la complicité de l’air.

Une touffe d’herbe haute me dit que les morts ont grandi.

Ici, j’ai vécu plusieurs vies, l’une chercheuse, presque matinale,

parmi les fleurs des sous-bois à la tendresse ridicule,

l’autre abondante à midi dans la lumière ronde des tournesols,

et l’autre encore, douloureuse, comme un journal quotidien

ou la trahison d’un outil mais toutes rêvées sans lassitude

comme on entend la nuit le bruit des moissonneuses.

Que mon pays soit mes années, mon chiendent, ma route, mon nuage

et ma carte postale et si partir traverse encore ma tête

que ce ne soit qu’un apparent voyage

comme les adieux faits à un mort à qui l'on ferme les yeux

dans une chambre au royal sourire.


 

Jean Le Mauve

Publié dans Poésie du monde

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