Chaque matin
Chaque matin, je passe en contrebande les mots qu’on a bannis, les blessures qui saignent sous le mauvais pansement, les mots au cou d’argile dont on fabrique un vase, les mots qui en savent trop ou posent trop de questions, les cris d’adolescents coincés entre deux portes, les mots d’amour qui étouffent à l’étroit des paperasses, les voyelles sans ailes, les alphabets trop maigres pour servir de slogans, les mots qui se rebiffent dans le discours des chefs, les patois d’habitant qu’on passe au papier de verre, les accents de la rue qui traînent la savate, les mots trop vagues pour la terre mais qui disent la mer, les étoiles indomptables, le sable des châteaux qui se mêle aux épaves, les mots laissés pour compte, les rires des enfants qui font trembler la Bourse, le feu qui brûle au fond de l’homme. Le squelette grince avec le temps et la poulie des gestes fait des couacs sonores mais le feu intérieur n’en reste pas moins chaud. Ne triez pas en vain les galets du passé. On se blesse les doigts à fouiller dans le sable. N’ayez pas peur de la vie. N’ayez pas peur de la mort. Nous devenons pareils au rêve, à la lumière, au silence des fleurs. Je ne veux pas mourir en pyjama rayé mais assis sur une pierre à me dorer la couenne, les pieds noircis par la poussière, le cri d’un caméléon en guise d’épitaphe.
Jean-Marc La Frenière