Le nombril

Publié le par la freniere

C’est n’est pas vrai qu’on s’habitue à tout. Le corps qui a faim a besoin de manger. Les bras des manchots imaginent des caresses, l’aveugle des couleurs, l’eunuque des enfants, la laine des chandails, des mitaines ou des tuques. De plus en plus de couples homosexuels adoptent des enfants ou paient des mères porteuses. Les chiens savants ont peur du loup, des bêtes sauvages et de leur maître. Les chaperons rouges et les bonhommes sept heures craignent les conteurs. J’ai quitté les hlm ignobles pour habiter à la campagne. Malheureusement avec le temps, j’ai dû changer mon cheval pour un quadriporteur, mon vrai loup pour un animal en peluche, mon crayon à mine pour un clavier d’ordinateur, le couinement des mulots pour une souris tactile, le paysage pour un écran de verre. Malgré la gymnastique et les salons de mise en forme, on ne remplace pas les jambes d’un vieillard par celles d’un gamin. On ne remplace pas le temps par un succédané. On ne répond jamais aux questions des enfants. On préfère acheter leur silence, qui une poupée Barbie, qui un Tonka jaune vif, un baladeur, un portable. Les parents n’apprennent plus la langue de l’enfance. Ils confient leurs gosses à des gardiennes patentées. J’étais sage à l’école, mais je rêvais d’être un p’tit bum. J’ai su très tôt que les études ne servent à rien. Je préférais la lune, les moutons roses, les livres et les autodidactes, les poètes aux banquiers, les pompiers aux polices, les plombiers aux vendeurs de tuyaux. Le soleil n’est pas toujours pressé. Entre l’aube et le premier café, il prend le temps de boire la rosée.

Entre Longueuil et Montréal, il y a des gens qui ne prennent jamais l’air. Ils ne connaissent plus le froid, l’averse, la sueur et le vent. Ils circulent de leur appartement jusqu’au métro. Ils se rendent au bureau par les escalators et les tunnels souterrains. Leur odeur se perd dans l’air climatisé. Ils ne sortent jamais. Le paysage a déserté leurs yeux. L’amour s’atrophie sans l’acte du désir. Ils ne savent plus qu’il y a la vie quelque part, qu’il faut pleurer de rage ou de plaisir, que chaque nerf du cerveau se branche sur le cœur, que les pieds peuvent gratter et faire craquer la neige, que le bout du doigt peut toucher l’infini. Il s’enfonce dans un ballon qui lui pète à la face. L’infini baille par un trou de bas. Travailler pour un salaire, c’est baisser les bras, c’est accepter la mort. Il n’y a plus qu’un trou à  la place du cœur, un nombril à la place du sexe.

 

Jean-Marc La Frenière

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