Otage du feu
Pendant que la neige dérobe nos paroles, un couple de mésanges tient l’hiver en haleine. Les deux pieds sur la bavette du poêle, je tiens tête au frimas. Otage du feu, l’homme du nord, faute de bois et du soleil déposé dans un arbre, a su donner aux mots un toit de neige. Dans le froid indigène, les oiseaux de l’espoir se réchauffent en volant pendant que nous dormons dans la laine et le lin. Dans les coutures à cœur ouvert, nous tenons à la vie par un fil de tendresse.
La neige tombe à pas de loup. Les aubépines s’emmitouflent dans la dormance de la sève. Ici, dans les dépendances du gel, les bouscueils du froid, il faut sans cesse réinventer le feu, le temps du poil et de la laine, du cuir et de la langue, le vin de glace réchauffant la parole, la catalogne des caresses. Il faut vivre de mèche avec la flamme, faire long feu, se mettre à blanc. Il faut avoir connu la neige pour parler de l’herbe avec amour.
Nous avons appris à construire de l’intérieur comme on fait d’un igloo. La courbe émouvante des toits caresse la bourrasque au lieu de l’affronter. Une simple rigole met en cause la glace. Sur la paille des nids, le blanc des lagopèdes remplacera la neige. Les arbres impatients enfantent des bourgeons. La terre en grand secret prépare son retour. Mâchonnant lentement la chaleur de l’humus, des millions d’insectes réveillent les racines à petits coups d’antennes. Le cœur bat plus vite parmi les eaux rampantes.
Un goût d’herbe et de sang grignote le grésil. Le soleil encourage la ferveur des rigoles. Il prépare la naissance des herbes et le retour des saveurs. Les pierres précambriennes servent d’église à la prière des insectes. Comme un poisson mémorisant la mer, une outarde cartographiant le ciel, le miel choisit déjà la forme du pistil, la trajectoire de l’abeille. L’aubier des ormes chante sous l’archet de la sève. Depuis l’enfance du monde, le même rituel perpétue l’espérance. L’embuse finit par se produire et les buses reviennent mordre la peau du ciel.
Il s’agit d’amitié entre l’insecte et nous, du goût de pain dans la saveur des jours. Il s’agit du soleil affinant la rosée, d’une lueur à la surface des choses. On retrouve la voix dans les cailloux qui tombent. Le roc a longtemps réfléchit. On le retrouve assis comme un bouddha où le sol se meut. Le pollen s’oppose au vacarme des hommes, un pétale de fleur à la durée du froid. À la fonte des neiges, on retrouve un outil, des os, des mots d’hier dans la joie nue de l’herbe. On retrouve la sève sous l’écorce en marche vers le sens. On retrouve les feuilles, les visages, les ombres, le rire sous les sapins en larmes et les gestes encore chauds sous la minceur des doigts. Il faut renommer chaque chose, apprendre le langage du germen, se perdre dans les ronces.
Le fleuve libéré de ses glaces vient téter l’horizon d’une bouche gourmande. Entre neige et fougère, l’humus a envahi le roc. Sol et soleil s’emmêlent en foisonnement de germes. Les manteaux raccourcissent lorsque les jours allongent. Les chevreuils remettent leurs souliers de verdure. La tête du monde qui avait trop blanchie retrouve ses couleurs. Il y a comme une eau réjouie dans le corps de la terre. Pleines de promesses et d’eau, les petites mottes de terre échangent leurs semences. Les trèfles font l’amour dans la prairie charnelle. La lueur des marais s’égarouille dans les yeux des grenouilles. Le froid, l’effroi s’effacent au passage des oies. La lumière des lucioles flageole dans la nuit, éclairant l’espérance. Les abeilles bourdonnent à l’oreille des fleurs. Les libellules agitent le rouet des quenouilles. Les oiseaux font la ronde dans la tête des forêts. Le sapin n’est plus seul à garder son habit. Les petits bras de l’herbe soulèvent leur pollen dans le berceau du vent. Dans l’arbre symphonique, nous cueillerons l’été comme un fruit de musique.