La neige fait de l'ombre

Publié le par la freniere

À défaut de bruit, la neige fait de l’ombre, des protoplasmes de mutisme au cœur des plectrophanes. Nul regret nul espoir de ne pas exister comme il convient de faire, de ne rien faire d’autre que d’essayer d’être. Je ne crois pas aux valeurs assurées, débit, crédit, la somme de ce qui reste, la soustraction du cœur, la multiplication des armes, le mirage des monnaies, la folie des grandeurs, l’absolu en pilules, la dernière hécatombe. Je crois aux tout petits, à la terre qui s’ouvre, aux semences millénaires, à l’architecture des fougères, à l’ingénierie des sources, au sexe des orties, aux lacs renversés ventre à l’air, à l’eau imbue de feu dans la mémoire des racines.

Je ne veux plus me pendre au cou de la misère ainsi qu’à une corde mais trouver le bonheur et son goût de gingembre. Entre l’analogique et le numérique où trouver l’organique ? Il faut crever la mince pelure des images pour retrouver la vue, les lèvres d’un sourire sur un mur de rictus. Avec un peu de mots, j’essaie de capter l’eau, de faire lever le pain, d’élargir la brèche dans les murs de ciment. Les vents les plus durs finissent par mollir aux fenêtres d’enfance. La neige plein la bouche se transforme en parole. Un sens profond réside dans la moindre semence. J’écris comme un chien enterre un os, comme une feuille sourit en tombant sur le sol, comme la neige renaît au ventre d’un ruisseau.

Le sang ne sèche pas sur un fusil de guerre et le temps tourne en rond sous la vitre des montres. Il faut apprendre à vivre sans trahir ses fantômes. Les arbres en hiver ont une autre beauté, celle du dénuement. Je touche de la main les petites choses du monde, le clochard en chacun, l’errance de l’eau. C’est dans les lieux communs que git le vermouilleux comme dirait Sol. Les pieds de la lumière éclaboussent les flaques. Sur le linceul du monde, je me suis construit un corps de papier avec mon sang, mes tripes, ma sueur et mon sperme. J’écris avec le ciel renversé sur la table, les bras du rêve appuyés sur une chaise, le petit bruit du cœur, les vers luisants dans la terre des mots, le matin qui fait la moue et les jurons qui font la gueule. Mes regards grimpent les collines jusqu’à toucher l’azur. L’herbe des champs lève sa tête verte contre le flanc des bêtes.

Il y a une rivière qui coule entre chaque homme. Nous communiquons en faisant des remous. Les poissons s’éveillent au fond de l’eau qui dort. L’eau trouble sous les ponts remonte jusqu’au vacarme. D’une rive à l’autre, j’ai appris à nager à l’écart des vagues. J’ai appris à marcher hors des sentiers battus. J’ai appris à hurler au milieu des moutons. L’âme des tableaux noirs a noyé tant de rêves, les oiseaux ne volent plus au-dessus des écoles. Je ne suis pas un croyant comme les autres. Je n’adore pas l’argent, le profit, le salut.  Je prie la sainte odeur de l’herbe, la fraternité des épines, la mémoire des feuilles sur le retable de l’automne. J’élève entre la page et l’encre un autel fugace.

La pluie est une oreille qui apprend à parler. Les gouttes sont toute ouïe en tombant sur le sol. Leurs cloisons de brouillard effilochent la mousseline des choses, la crinoline de l’air, les volutes noires des arbres, l’embrasure des regards. Elles dévoilent d’une ombre les chemins invisibles. Elles tracent des sillons sur le dos de la terre. La lumière dans l’air s’ébrèche comme l’étain. Le geyser des arbres s’éclabousse de feuilles. Chaque bourgeon dessine une miniature du monde. Chaque arbre connaît-il le frémissement des feuilles, le frisson des racines, l’inquiétude de l’écorce, l’angoisse des oiseaux ? Devant le pas des hommes, tous les arbres s’inquiètent comme une meute de loups qui regardent à distance. Les vieilles bêtes se terrent entre les bras du vent. Il faut parfois se mordre pour ne pas mourir de faim.

L’eau monte de partout. Le ruisseau doit relever sa jupe avec ses propres mains et s’offrir au soleil. J’ai beau serrer les mots comme une ceinture, le silence déborde. La lumière des pierres vient d’une autre mémoire. Nous sommes rarement les mots que l’on prononce. Nous sommes le silence que nous n’entendons pas. Il manque une porte entre le visible et l’invisible. Il manque des couleurs à l’arc-en-ciel du cœur. Il manque des morceaux dans le puzzle du réel. La mémoire n’a pas le temps d’installer son fauteuil. Les images ont déjà pris la route, l’inconnu sur l’épaule. Les pieds de l’encre dansent sur le plancher des phrases. De l’oiseau à ressort au porc-épic en plume, les routes qu’on emprunte, on ne les rend jamais qu’amputées du départ.

Le mensonge trébuche sur les mots les plus simples. Il ne peut dire je t’aime sans crucifier l’amour sur les deux bras du T. Il ne peut dire pain sans monnayer la faim. Il ne peut dire je sans farder le miroir. J’habite au cœur des pommes ou des flocons de neige. Je suis né comme j’ai pu à la mauvaise page, entre l’odeur du verbe et celle du sapin, celle de l’encre et celle du chevreuil. Je me cherche des ailes dans les pliures du corps, du sable entre les dents, du feu sur les nuages, un pacte avec les loups. Ma tête agite ses oreilles pour apprendre à voler dans une symphonie. Je tricote l’espoir avec l’eau des larmes et le sel de la soif. Sur le clou de la nuit, le marteau du poète épouse la lumière.

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article