Au printemps

Publié le par la freniere

Les arbres au printemps sont en petite tenue. Ils s’habilleront plus tard de la couleur des jours. Les oiseaux font leur nid dans les coudes et les jointures des branches. Le vent ne cache rien sous sa robe volante. Il prête son sourire au visage des plantes. Les vaches sont sorties de l’étable. Leurs grands cils noirs dessinent le passage d’un train. Le soleil bosse enfin au rythme des miracles. Il picore la terre avec des yeux d’oiseaux,  un petit bourgeon là, une herbe qui remue, une source qui chante sous les doigts d’or du ciel.

La blancheur se retire et fait place aux couleurs. Ne reste de la neige qu’une flaque sur la table que lèche mon crayon. La lumière du soleil  redresse mon échine comme les tournesols, le dos des doryphores, les fils d’araignée. L’amour s’insinue dans la moindre fissure et le bec des oiseaux, la gueule des loups et le cœur des chevreuils, le pain et le couteau, les larmes et les rires, la prière et le geste. La poudre d’or du pollen tache les doigts des mots. On la retrouve sur la page illuminant les phrases.

La morsure du vent se transforme en caresse. J’ai rangé mes livres de bois blond. L’écriture de l’été est un carnet léger où sursautent les fleurs. On pense à la poussière, à la rosée de l’aube, aux toiles de ces peintres où la verdure abonde. On pense au bleu du ciel, aux cuisses des ruisseaux, au sable dans les bas, au sel dans les pas. C’est une autre saison. Je sors de mes livres et j’entre dans les bois. Les bruits de la forêt me servent de lecture, l’approche de la louve, l’innocence des lièvres, la mousse des grands arbres. Les pages ne sont plus des pages mais des gestes qu’on pose, des sources qu’on découvre, des larves qui mûrissent, des bourgeons qui éclosent, des ronces qui déchirent.

J’ai échangé mes pages noircies d’encre pour une paire de sandales. J’écris avec mes pieds. Je viens offrir mes pas à la terre des routes, ma soif à l’eau des fleuves, mon sourire à la nuit, mon espoir à la vie, ma prière à l’amour. Je m’attarde sur le pas de mon ombre pour épier les insectes, surveiller les outardes, accueillir les feuilles, applaudir le vent fou qui danse dans les herbes. Le sang afflue sous la chair des lèvres. L’enveloppe des paroles laisse tomber ses mots. Dans tout ce qui se tait, une rumeur gronde. Il faut ouvrir les yeux, les oreilles, les mains. Il faut tendre les bras jusqu’à toucher l’azur. Il faut prendre ce que la terre nous offre et ne rien lui voler.

J’ai échangé ma vieille langue française pour un bout de ruisseau, mes mots pour des galets, mes phrases pour des fraises. J’écris avec les vagues et la saveur de l’aube, l’humus des jardins et le bras d’une bêche. J’aligne dans le silence un petit peu de mots comme on allume dans le froid un petit feu de bois. J’ai échangé ma montre pour un temps privé d’heures, mes feuilles de papier pour les feuilles d’un tremble. J’écris avec la main qui manque et le cœur d’un arbre. J’écris comme ces vieux qui rempaillent une chaise sans jamais s’y asseoir.

On me reproche de perdre mon temps. Du temps perdu sur quoi ? Du temps gagné pour qui ? Quel salaire remplacera jamais un seul bouton d’or ? Je sais que j’exagère mais moins que les comptables. À quoi bon se compter des sornettes ? Je me protège d’être un homme qu’on enchaîne à son rôle, un pantin qu’on repeint à chaque nouvelle mode. Je ne cherche pas la vérité. Je cherche la bonté. Je resterai l’enfant qu’on prive de dessert et qui monte à sa chambre dessiner l’horizon. J’ouvre les yeux dans le silence des peintres. J’écoute la musique ponctuer l’infini. Quel mot remplacera jamais l’abeille sur la fleur, les ailes d’un oiseau, le regard d’un hibou ? Là où tout le monde sait tout, j’interroge la pierre et les pépins de pomme. Je demande ma route à celui qui s’égare.

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
<br />   Si j’écrivais ainsi Si j’essayais de réapprendre ces grandes bouffées des lyres hantées Qui sont arrêtées à ma montre que je n’ai jamais portée De peur d’arrêter le temps qui me reste Si je reprenais la tangente comme ce matin de Mercure dont Rabelais faisait son miel de pipeurs trompeurs affineurs thriacleurs larrons meuniers batteurs de pavé maîtres ès arts décrétistes crocheteurs harpailleurs rimasseurs bateleurs Rabelais qui eût connu avec ferveur le continent La Frenière et ses poudres d’or cuisses de ruisseaux feuilles de tremble et mots abondants de galets et de doryphores de rempailleur et de outardes et d’azur égaré Si j’écrivais ainsi tirant les verrous au pays sans frontières…  <br />