Un dieu un peu triste (France)

Publié le par la freniere

C’était un dieu sérieux    bienveillant   appliqué

Il n’ambitionnait pas de marcher sur les eaux

Il ne ressuscitait pas les morts d’entre les morts

Il n’aurait pas pensé à faire des miracles

Il faisait son métier   très consciencieusement

auprès des solitaires   au chevet des malades

Il apaisait les peurs nocturnes des enfants

Il berçait la douleur de celles qui restent seules

Il posait sa main sur les fronts brûlants

Il essuyait les larmes des abandonnés

Il tenait la main des mourants vers le noir

Comme les bonnes âmes aident les vieilles dames

à traverser la rue   il aidait seulement

les gens dans le tourment à traverser la vie

Quand on lui demandait des choses pas sérieuses

retrouver un collier perdu   garder le cœur d’un infidèle       

gagner à la loterie ou que revienne un chien perdu

il haussait les épaules sans méchanceté

et disaient des humains   «Ce sont de grands enfants»

C’était un dieu moyen   de quatrième classe

un dieu modeste et bon   qui connaissait la vie

 

Des hommes de savoir sont venus et l’ont pris

Ils l’ont emmené   restauré   étudié

ont écrit des traités sur sa philosophie

Ils l’ont restauré   étiqueté   muséifié

 

Les visiteurs s’arrêtent devant l’ancien dieu

Et disent «Que c’est beau» Il ne comprend pas

Il n’avait pas voulu être beau   mais simplement utile

C’est un dieu un peu triste et qui ne sert à rien

 
Claude Roy   

Publié dans Poésie du monde

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