Chaque pas

Publié le par la freniere

 

Même les anges ont perdu leur chemin dans les files d’attente. Ils ont troqué leurs ailes pour une carte de crédit. Ils lisent Coehlo en attendant la pluie, Harlequin dans une poche et de l’encens dans l’autre. Je ne vois plus de roses dans la blessure des jardins. Leurs épines affaiblies ont décousu l’espoir. Le squelette du cœur s’appuie sur des prières sans regarder le ciel. La cendre a dévoré le feu sans réchauffer le corps. Les arbres étaient des livres mais les oiseaux désertent l’abécédaire de l’homme. Ils volent en silence dans les fumées d’usine. Je m’appuie pour marcher sur le bâton de l’air. Je m’habille de mots trop larges pour ma voix. Je vole son parfum à la rose des vents.

On voit des gens tirés par leurs habits, des enfants qui ne savent plus à quoi sert un ballon, des fillettes de douze ans enceintes par dépit. Peut-être que les hommes ne sont plus faits pour vivre. La nuit ne ferme pas les yeux. Elle colore les blancs sur les mémoires aveugles. Les mots à l’encre sur la page attendent la marée. Le temps s’avance sur ses pieds brisés. La pluie fait des ronds de jambe à la devanture des déserts. Je suis ce que je vois, ce que je dis, ce que je fais. Je suis comme une pierre au milieu du chemin, le caillou d’un ruisseau, la bille d’un enfant, une voyelle rêveuse dans un bosquet de mots.

On a caché des armes dans le berceau du cœur. On a chargé de poudre le landau des poupées. On a rempli de pierres la besace du rêve. Les concierges de Dieu ont noyé l’infini avec de l’eau bénite. La mort guette partout mais une seule miette de pain nous invite à la vie. Je suis un pain de mots à la recherche d’une table, une goutte de mercure échappée de la neige. Il y a des oiseaux qui refusent de voler, des arbres qui bâillonnent leurs fruits, des étoiles qui meurent sans laisser de lumière. On étouffe le feu sous la cendre des choses.

Ceux qui n’ont pas de rides ont des fossés dans le cœur. Le ciel n’ose plus lire les ornières du sol. On perfectionne les armes mais qu’en est-il des âmes et des larmes qu’on tue ? Les yeux sont la lumière du visage. Quand ils s’éteignent, on ne voit plus son âme. Qu’une goutte d’eau m’enivre, qu’une montre s’arrête, qu’un enfant me sourit et je parle d’espoir. J’apprends à rire devant les murs et les portes fermées. Des oiseaux font leur nid sur le toit des prisons. Les fleurs dansent encore dans le bal du vent. Les feuilles chantent sur la portée des branches. Une eau pourrait jaillir quand je nomme la source.

Je n’ai pas peur des mots mais des chiffres, des zéros qu’on ajoute au chèque du malheur. Aujourd’hui, tous les mots sonnent faux, sauf argent, profit et gloire. Le mot Dieu fait des morts dans les endroits publics. Si l’espérance avait des yeux, ils refuseraient de voir. Sur les nappes de pétrole, on sert la vie avec la mort dans une même assiette. Toutes mes valises sont vides. Ce que la vie me donne, je le redonne à l’encre. Je sème des images dans la terre des mots. Il se peut qu’une phrase ait l’odeur des pivoines, qu’une source jaillisse entre deux parenthèses, qu’un oiseau fasse un nid au milieu des voyelles. Chaque mot a l’air d’un papillon transportant ses couleurs.

Chaque branche d’un arbre apporte son message. Je suis les pas de la poussière jusqu’à trouver la source. Devant chaque réponse, je cherche la question, le geste dans les choses, les images invisibles, la flamme dans le froid. Seule la femme sait lire avec son corps entier. Il manque toujours à l’homme ce qu’elle peut lui donner. Je ne cesse de marcher. La poésie voyage des étoiles aux racines. Chaque goutte de pluie me sert de boussole. Chaque mot est un pas. Chaque pas devient route. Chaque route se cherche à côté de ses pas. Jour après jour, la vie récapitule notre mort. Je me perds dans la page. Je me soumets aux mots, excepté les mots d’ordre. Je m’évade par la porte des images. Je m’habille de mots. Je me penche sur le bord du silence. Ma peau sent l’encre vive. Depuis le premier mot, je marche au bord du vide. Je reviens où mes pas ne sont jamais allés.

Publié dans Prose

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A
Cher Jean Marc, Enfin, je te retrouve ! Mon vieil ordi ne me permettait pas d'ajouter des commentaires sous les textes des blogs... pas sur tous. Je viens de changer de matériel, il était plus que temps.Je suis ravie que ta voix soit toujours la même, on reconnaît ton écriture parmi les autres. Et c'est bien !Amitié, JML !
C
"je reviens où mes pas ne sont jamais allés" De l'écho...