Gilles Hénault

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Hénault, Gilles, écrivain (Saint-Majorique, 1er août 1920 -- 1996). Après des études au Collège Mont Saint-Louis, il entreprend un programme de lecture et d'écriture auto-dirigé et publie plusieurs poèmes dans les magazines Horizons (1937) et La Nouvelle Relève (1941). Il se tourne alors vers le journalisme, se liant d'amitié avec différentes figures du monde littéraire, dont Jean-Aubert Loranger et particulièrement Éloi de Grandmont). C'est avec Grandmont qu'il fonde les Cahiers de la file indienne (1946), une collection consacrée à des expériences d'écriture automatiste dans laquelle il publie Théâtre en plein air (1946).

Sa décision de se joindre au journal communiste Combat avec Pierre Gélinas (le journal ferme définitivement en 1947, à la suite de la loi du cadenas du gouvernement de Maurice Duplessis lui ferme temporairement d'autres portes du monde journalistique. Hénault travaille ensuite comme organisateur syndical dans une mine de nickel de Sudbury et publie bon nombre de poèmes dissidents.

En 1953, de retour à Montréal, il travaille à la radio, à la télévision et au cinéma, comme journaliste, scénariste et animateur. Il devient rédacteur littéraire et artistique au Devoir en 1959, et directeur du Musée d'art contemporain de Montréal de 1966 à 1971. Il est écrivain-résidant à l'U. de l'Ontario en 1975-1976 et responsable du département des arts plastiques de l'UQAM en 1983-1984.

Il continue à écrire de la poésie : Totems, illustré par Albert Dumouchel (1953); Voyage au pays de mémoire, illustré par Marcelle Ferron 1960); À l'orée de l'oeil, illustré par Roland Giguère (1981); À l'inconnue nue, illustré par Léon Bellefleur (1984), Noyade, illustré par Monique Charbonneau (1986) et À l'écoute de l'écoumène (1991). Il est le récipiendaire de prix importants, notamment le Prix du Gouverneur général pour son livre Signaux pour les voyants (1972) et le Prix David pour l'ensemble de son oeuvre (1993).

 

...] quand on a été un grand intellectuel et un homme politiquement de gauche, on ne peut pas faire œuvre ordinaire, on porte en soi son temps et sa critique, on porte en soi la vivacité d'un pays et l'urgence d'écrire de facon à témoigner de sa propre expérience. Toute la modernité de l'œuvre de Gilles Hénault tient à cette exigence de rester lucide sans désespérer, lui qui a manié, ce qui est si difficile et risqué, l'humour jusque dans ses poèmes pour que la vie témoigne toujours de sa force de résistance. [...] Hénault aura traduit sa pensée et son monde d'images en des textes formés de très grandes proses, en des pages pleines et amples, comme dans des poèmes aux vers généreux ou laconiques, même par quelques calligrammes ou cryptogrammes, afin d'accorder dans ses textes rythme et pensée, fulgurance de la figure et sens bouleversé. Et chaque fois on est comme surpris de voir à quel point ce poète a su toujours trouver le bon ton, l'exacte forme pour que s'accomplisse le poème. [...] Alors, relisons, silencieux et admiratifs, cette œuvre incarnée dans la plus grande magie, celle qui va au-devant du miracle inattendu des images fulgurantes. Hugues Corriveau

« Le poème n 'est pas un accident chez G, c'est l'envie de tenir une parole libre dans un monde où nous ne cessons d'être contrôlés, de nous contrôler [...] Quand je lis G, il y a un homme à l'écoute du monde ; il écoute tout, il devient tout : la toundra, une femme, un œuf, Mozart, une guerre. » Philippe Haeck

Théâtre en plein air, Cahiers de la file indienne, 1946

Totems, Éditions Erta, 1953

Voyage au pays de mémoire, Éditions Erta, 1959

Sémaphore suivi de Voyage au pays de mémoire, L’Hexagone, 1962

Signaux pour les voyants, poèmes 1941-1962, L’Hexagone, 1984

À l’inconnue nue, Parti pris, 1984

À l’écoute de l’écoumène, L’Hexagone, 1992

Poèmes 1937-1993, Les éditions Sémaphore, 2006

 
 

Chanson des mégots

I

Elle est partie en laissant ses mégots.
Eh ! pourquoi pas, le feu est sans histoire
Et l'art de bien fumer pare les continents.
Qu'en dites-vous, lutins des magiques journées ?
Ces temps sont révolus parce que l'âme clame en toi
la floraison des voyages délétères.

II

Elle est partie en laissant ses mégots.
Transparente est la fuite des voilures lisses
au bord d'un horizon mémorial
où la rame indéfiniment rature les vagues du rêve.
Elle est partie sans ses poissons dorés au coeur de cerise
sans le rayon des jours sans pluie
sans le manteau de bruit que tisse le passage des trains
sans le petit chaperon rouge des soleils en-allés
sans l'ourson assis dans la désolation du déluge.

III

Elle est partie sens devant derrière
sa jeunesse décousue
en laissant le poisson comme un fruit.
Le couteau est moins aigu qu'un éclat de rire
La face convulsée est un écran très lumineux
La première journée, elle avait fait couler une source de ses cheveux
Qu'il t'en souvienne
La deuxième journée fut celle de l'amour sans nuages dans les îles de l'été
Et les autres journées furent les journées-caravane
Les orients pâlissaient devant le monstre bicéphale
Et la dernière journée elle partit
en laissant ses mégots
en laissant son éventail de frasques incomprises
Ses cheveux aux serrures
Ses empreintes digitales au plafond
Ses colères éclatées
par où entre le vent des futures années.

 

Intermède

Vous dormez dans les eaux nacrées
vous dormez dans les eaux navrantes d'hier
(la rivière est couverte d'éphémères)
Répétez d'Héraclite l'axiome
toujours changeant :
« Jamais deux fois dans le même
fleuve on se baigne
« Jamais une seule fois dans
le même fleuve...
« Jamais dans un même fleuve
on se baigne
« Jamais on se baigne sinon
dans des fleuves toujours fluants »
ainsi va la poésie ainsi vont
les sanglots et les sèves
(ainsi gire l'énergie)
Le mouvement dénonce la photographie
et l'annule

 
 

Sémaphore

Les signes vont au silence
Les signes vont au sable du songe et s'y perdent
Les signes s'insinuent au ciel renversé de la pupille
Les signes crépitent, radiations d'une essence délétère, chimie de formes cinétiques, filigranes d'aurores boréales.
Et tout se tisse de souvenirs feuillus, de gestes palmés éventant l'aire des lisses liesses.
Les signes sont racines, tiges éployées, frondaisons de signaux dans le vent qui feuillette son grimoire.
C'est l'hiver et le pays revêt sa robe sans couture dans un grand envol de feuilles et de plumes, dans un geste de sorcier saluant les derniers spasmes de la flamme.
Sous la voussure du ciel
S'allume une bourrasque de sel
Signe d'un silence qui sourd du songe et de l'ennui
Le silence darde sa lance au cœur du paysage soudain cinglé de souffles véhéments et la tempête monte comme une écume de légende pour ternir les bagues de la nuit.
L'homme dans le mitan de son âge ne sait plus de quelle rive lui vient la vie

 
Enfance

Á Gaëtan

Il fait clair de neige dans ma tête.
Les loups sont à la piste des Noëls anciens.
Par le gong et par le glas cinglés de poudrerie
J’évoque ici l’enfance des châteaux en Espagne
Vitriol des années bleues
Douceur du feu aux doigts de chanvre
Chandelles et mirlitons faussés
De la ritournelle du temps jadis
Orgue de barbarie des civilizations mourantes.

Le monde se retire comme la marée
À mesure qu’on pense plus et qu’on voit moins.

Gilles Hénault

Publié dans Les marcheurs de rêve

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