Dans sa peau

Publié le par la freniere

Quand les hommes font la guerre, le temps est mal dans sa peau. Au bout de chaque route, j’attends l’inespéré. J’offre des quatre-saisons dans la rue du cœur, des bocks de tendresse sur le comptoir du jour. Je parle aux hirondelles le langage des plumes. L’infini est tapi partout, sous la poussière du tapis, au creux d’une odeur, dans une goutte de pluie, le bruissement des mots sur le dos du papier. Il bouge le pied d’un arbre sur le sol, le bras de l’ombre au cou du vent. Ne fermez pas à clef les battants de l’amour. Le monde n’est que la crête d’un horizon plus vaste.

Il n’y aura jamais trop de mots. Ils agrandissent la page jusqu’à noyer la marge. Les pierres sont vivantes mais respirent lentement. Quand j’étais petit, je croyais que les plus hautes montagnes étaient vieilles et les collines leurs bébés. Je crois maintenant que chaque caillou est une ancienne planète, que des couleurs se cachent dans les ombres. Il m’arrive même de croire que l’homme pourrait aimer. Je saute à la corde avec le fil du temps. Je joue à la marelle avec les années. À chaque seconde, un miracle se produit. Je galope sur les phrases comme un enfant à croupetons sur une chaise. J’écoute battre le cœur sous l’écorce des arbres.

Je suis heureux d’avoir des mains, avec cinq doigts chacune, d’avoir des pieds qui parlent, une oreille qui chante, un œil qui dessine la saveur des fruits, les muscles d’un violon sous l’archet des caresses. Les lignes sont immenses dans la paume des mains. On n’en voit que la crête. Il reste toujours un bout d’oiseau dans une planche, un nœud têtu, le souvenir d’un arbre, un rêve de racine. Ce sont comme des échardes dans la chair du temps. La vie est un pollen. Nous sommes des abeilles. Beaucoup plus haut qu’un arbre, un oiseau saute un filet de haies bleues. Je ne suis pas le fou du roi mais la diagonale sur l’échiquier du cœur, le rail du rêveur fuyant les parallèles, la ligne de tendresse dans une paume rebelle.

De l’âge des chevaux à celle des robots, l’espoir devient mythologique. L’avenir est la préhistoire de l’homme. J’entends les dinosaures dans la cohue des villes, les félins dans la foule, la houle sous les pas. En perdant ses pétales, la fleur nous laisse le parfum de ses larmes. Les mots deviennent ce qu’on écrit : un germe, une mer, une guerre ou la paix, la misère ou le pain, la soif et la fontaine, l’écume de la vie survivant à la mort. Toujours le verre de vin retourne à la vigne et l’épine à la rose. On ne relit jamais le même livre avec les mêmes yeux. On ne prend jamais la même route avec les mêmes pas. Quand on aime, on aime toujours un peu plus que la veille.

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article