Sur le bout d'un crayon
Je traîne la vie au bout de mes lacets. Je tombe et me relève souvent. J’ai appris à marcher sur le bout d’un crayon. J’ai appris à parler avec mes deux pieds. Je marche pour écrire. Les mots me tiennent debout. Je visite les morts par les issues de secours. Je détecte la source sous les planches pourries. J’apprends à souffler le verre pour en faire un oiseau, à caresser le bois pour en faire un violon, à façonner l’argile en pichet d’espérance.
On ne fait pas de pain avec le blé des banques. Que mangerons-nous quand le béton des promoteurs aura bouffé toute l’herbe, racine par racine ? Que boirons-nous quand les derniers chevreuils n’auront plus à sucer que des carcasses d’autos ? Que ferons-nous des rivières polluées, des arbres mis en chiffres, des rêves mis en boite, des poètes en prison ? Il y a longtemps que j’ai abandonné la drogue, le salaire, la télé. Je me veux dépendant de l’amour, de la liberté et de la vie.
Je mets les yeux en face des trous, les fantômes sous les draps, les fourmis dans les jambes. Je mets du bleu partout, du blanc sur les drapeaux, les chiffres avec les lettres, les clous avec les mots, la chair des voyelles sur l’os des idées. Je galope à cru sur le cheval du rêve. Je déshabille la reine sur l’échiquier du cœur. Ça commence très loin du livre, dans le blanc des racines, l’âpreté de la terre, le frémissement des feuilles. Je ne sais pas où se forment les mots. Ça ne finit jamais. Je lis dans les étoiles des voyelles inconnues, des phrases dans la neige et les traces de loups. Les mêmes mots ne sont jamais les mêmes. Les mots je t’aime changent de peau sous la mue des caresses. Se taire n’est pas plus grand qu’écrire. Parler est plus petit qu’étreindre. L’oiseau quand il vole résume toutes les langues.