Solo 3
Seigneur me voici c’est moi
je viens d’un pays de terre
les grillons chanteurs
modulaient de longues cantilènes
dans les armoires candides
et tandis que les horloges de chêne
scandaient le temps paysan allant
de tristes Tristan
harpaient des sônes d’amour
sous les tours anciennes
O les siècles et les saisons
dans les soirs embaumés de tilleuls
l’automne jaunissant de soleils
affligeait les Grands Meaulnes
en sabot
sous les préaux pleuraient les épagneuls
Seigneur me voici c’est moi
je me souviens du pays de France
Orléans Beaugency Vendôme
comptines et remembrances
assiègent les provinces fantômes
ça va très bien Madame la Marquise
c’était au temps des candeurs exquises
dans les greniers j’ai perdu mon enfance
Solo
sons
sônes
sanglots
je me souviens du pays de Bretagne
et des chants et des danses
et des transes
les fêtes de nuit
fusaient dans les campagnes
des Espagnes couraient dans les orages
il est des adieux qui valent des bonjours
et des amours violentes
comme des musiques
Rock-and-rollez moi
Dans le feeling de Dan Ar Bras
Folkez-moi
Dans la rage de Glenmor
Kan-an-diskanez-moi
Dans la joie du fest-noz
Oui
j’ai rêvé d’un peuple ébloui
de Terre Sainte revenus
les rois bretons et les bardes
paysannement
dans les bombardes
soufflaient des féeries
féeriquement
l’hydromel flambait
dans les bolées
et dansaient les villages
sur les collines
Mais pourquoi cette complainte
après tant d’allégresse ?
pourquoi cette païenne tristesse
au bout de la quête arthurienne ?
pleurez collines
pleurez vallons
sur les châteaux morts
de la Douloureuse garde
aux Bois dormants
reposent les épées et les poèmes
Seigneur Dieu
pourquoi vous cachez-vous
aux yeux de ceux qui vous aimaient
adieu les pieux errants
lierres et pierres
temps frivoles et sans pitié
temps meurtriers
ronciers
temps de mécréance
temps de médisance
dévorez-moi
dévorez-moi
car je ne saurai vivre
sans croire que les chemins
vont quelque part
en quelque ville
Seigneur Dieu c’est moi
j’ai fait un grand voyage
permettez que je retourne
en Bretagne
pour vivre encore quelques années
je n’ai pas grand âge
vous le savez
quelques printemps encore
donnez-les moi
afin que je vous loue
par l’aubépine et le laurier
accordez-moi quelques étés
afin que je vous chérisse
par la tendresse reposée
du myosotis et de la rose
Seigneur Dieu
au royaume de la terre
laissez-moi retourner
au temps d’hiver
je serai trouvère
trouvant prière
en mon âme recouvrée
Seigneur Dieu
redonnez-moi ma maisonnée
et ma femme française
qui tant patiemment
ma santé mauvaise
soigna à Botzulan
rendez-moi paroisse et commune
mes trois bouleaux
mes deux cyprès
et mon talus buissonnant
et le chêne tout frivolant
avec les tourterelles
tourterellant
rendez-moi les hirondelles
nichant
nizonnant
botzunalisant en la mémoire
des cheminées
Seigneur Dieu
ce que pour Lazare
en belle Galilée
vous avez fait
ne le ferez-vous pas
pour ma chair tant abîmée ?
Seigneur
c’est votre grâce
que je supplie
et non votre puissance
opérez ma renaissance
il suffira d’un peu de souffle
dans ma poitrine
d’un peu de salive
sur ma bouche chagrine
Seigneur maître de la vie
voici donc ma bretonne supplique
prenez mes plaies et mes peines
allégez ce fardeau que je traîne
dans les blanches cliniques
aux adieux des condamnés
comment me résignerais-je
comment dire adieu aux fontaines
aux sources aux rivières
à l’Elorn à l’Isole à l’Aven ?
Qu’il me souvienne
des bourgades humaines
du rire de l’aurore
à l’œil des fenêtres
comment quitter
tous ceux que j’aime
frères de Bretagne
amis de Seine
pourquoi faudrait-il
que m’adviennent
douleurs et précoce trépas
Seigneur Dieu
à pauvre et bonne pauvreté
votre riche palais ne convient pas
redonnez-moi ma jaune masure
et l’amour de la vie
et l’amour des hommes
car telle est la mesure
de notre seul honneur !
Seigneur
d’amour vous avez blessé Verlaine
et devant votre corps fabuleux
rue Ravignan
la chair de Max Jacob
est tombée par terre
Seigneur
par l’annonciation des poètes
je crois aux jours heureux
de votre Parousie
vous viendrez dans les vergers
par la voie lactée
et les sentiers d’ancolie
nos maisons de pierres
seront vos reposoirs
nous mettrons le pain le vin
sur la table
les colombes s’envoleront
des retables
O les ajoncs sensibles
dans la clarté du soir
amour aimant l’amour
feu brûlant le feu
incandescence
phosphorescence
brasier brassant brassée de flammes
aurore aurorant de coqs et de rosée
âmes embrasées
tendresses embrassées
phares effarés de brûlures
enluminures
Orantes illuminés de Rumengol
Piétas d’Argol pèlerinant
mers bouillonnantes
femmes fascinantes
nature fascinée
archanges et calvaires
pélegrinant
les rives chantent
s’illuminent les comètes
sur les terres bien-aimées
et s’éclatent les morts
et les croix et les tombes
dans l’enclos du soleil
O glèbe sauvée
Xavier Grall