Bleu miel ou l'étincelle des mots
Chemins de Plume, petite et vaillante maison d’édition, toujours à l’affût de talents nouveaux ou confirmés, nous propose Bleu miel, un recueil de textes poétiques d’Ile Eniger.

Editions Chemins de Plume, EAN : 9782849540527, 12 €
Cette auteure n’est pas une inconnue et j’ai eu, à plusieurs reprises, le plaisir de présenter ses ouvrages précédents.
Avec Bleu miel titre qui pourrait sembler énigmatique ou surréaliste, Ile Eniger nous entraine à l’orée d’un bois où nait une clairière. En quittant la forêt de son quotidien, l’auteure nous invite à la découverte de son nouveau visage. Il est naturellement celui de l’écriture, mais il est aussi celui de la vie de l’écriture, où les mots sont du sang, de la salive, des sentiments, et où la souffrance et la joie s’embrassent et se déchirent.
Bleu miel, deux couleurs, deux senteurs, deux univers. Le premier impalpable et souvent froid, neutre dans sa profondeur qui peut devenir égarement, l’autre qui évoque Phébus, l’astre Roi, qui ordonne au monde et commande aux espèces. La couleur qui donne la vie, la réchauffe, la bouscule dans la récréation sempiternelle des saisons.
Ile Eniger vient de sortir de ce bleu, de cette eau originelle pour entrer dans la lumière du feu, dans la passion du jour. L’auteure a pris tout son temps pour assembler les pièces majeures de son puzzle. Son avenir frappe à sa porte. Est-elle prête à franchir la ligne blanche qui partage la vie ?
Je le crois, car son écriture s’est affranchie des pliures du doute. Le chemin, un moment égaré, soulève ses paupières, il respire le vent du large. Il porte la phrase fidèle et magique. Il incarne cette impatience qui dévore les pas où naissent les histoires, celles de l’être qui se cherche sans savoir qu’il vient de se trouver. "Je sais maintenant, me confie Ile Eniger, que j’écrirai toute ma vie...".
Cet aveu, souriant comme une aile que l’on déploie, permet à l’auteure d’habiller son corps de la couleur du miel, miracle du mystère où pousse la graine insolente et fière de la vie !
L’écriture d’Ile Eniger fascine, subjugue et finit par vous retenir au sein de ses phrases courtes, élancées, nerveuses et nues.
Les mots s’agitent, prennent la parole, le texte se métamorphose en paysage, en scène où les objets eux-mêmes vous interpellent, vous prennent à témoin, vous accusent de ne pas entrer, de ne pas entendre, de ne pas participer... Avec Ile Eniger, l’indifférence n’est pas de mise, car l’existence est bien trop courte pour ne pas tenter l’impossible. Chaque texte est un voyage, une aventure où l’on entre sans choisir, où les yeux capturés par les caractères, se retrouvent au beau milieu de la page entre une route maigre, un escalier qui se cherche une destination, un passage qui s’ouvre, un chien qui aboie, une bougie encore fumante et l’arbre qui frappe aux carreaux tandis que les étoiles prudentes demeurent au sommet de la nuit !
Lecteur, tu ne pourras jamais t’asseoir sur le seuil de ce livre, car l’espace, tout l’espace est rempli de ces choses qui font et défont notre marche. Et si tu tends l’oreille et poses ton cœur sur les mots, alors je te promets l’ivresse d’une heure qui ne finira pas...
"Vous vêtir ?je dis grège, un état grège, un état naturel. Votre saveur ? fruits rouges. Votre regard ? bleu miel, un métal bien étrange. Vous définir ? un autel sans dimanche, sans messe, loin des foules. Voisine des forêts. J’aime chez vous le poivre, la pointe qui résiste. La rigueur qui nuement s’abandonne. Vous dites que la pierre concentre la vitesse, que seul un amour sauve, que la joie se balance entre un rire d’enfant et le chant d’un moineau. Qu’il ne suffit le rêve mais la poigne à le vivre. Vous parlez de silences, d’arbres patients, de soleil égoutté chaque soir sur la mer, de lumières de route. Les gens comprennent mal ces choses que vous dites. Le roc, le centre, le magma, ce qui respire et vit sans fiche explicative, ces mondes les fatiguent. Dans la maison en flammes, vous sauvez cette chose que personne ne voit. Et moi si loin de vous, je m’étonne toujours à vous sentir si proche."
Victor Varjac