Donner à voir

Publié le par la freniere

Les accordeurs de silence ne sont pas tous aveugles. Chaque matin, le monde s’ouvre dans nos yeux. Dans les villages de papier, les phrases donnent à boire aux passants qui ont soif. Il ne sert à rien de courir. La vie n’est pas devant. Elle est en nous. La terre est comme un sexe ouvert où semer l’espérance, une chair où s’aimer. Elle nous tient dans ses eaux comme une mère enceinte. La terre nourricière n’appartient à personne. Il n’y a pas un arbre qui ne sache donner. Une pâte lève toujours dans l’humus et la boue. Des bêtes font leur lit dans la cendre et le sable. Des plantes prennent appui sur la pierre des murs. Des neurones se croisent. Des colonies d’atomes échangent leurs secrets. Des nerfs se nourrissent de la moindre laitance. Il faut vivre debout et croire aux étoiles. L’eau pure est à ce prix.

J’ai dormi sous la neige, la tente, la tempête, au sein des hautes herbes, la tête sur la pierre, l’espoir sur la paille. J’ai pleuré dans le désert. J’ai grandi dans le désir. J’ai bu le désespoir à même le goulot jusqu’à saigner des dents. Peu importe le lieu, depuis mon lit d’enfance, je regarde la monde avec les mêmes yeux. Je vois encore l’amour derrière les barbelés faire pousser des fleurs, morigéner la haine, faire des nœuds dans la voix, les oiseaux faire un nid dans les trous de murailles, des hommes semer du blé dans la cratères de bombes, des racines soulever des dalles de béton, des enfants faire la fête au milieu des ordures, de vieilles dames indignes retrousser leurs jupons, des rêveurs éveillés égarer leurs bagages et s’en trouver plus riches. Je vois la ligne droite dans le mouvement des vagues et celui des marées, des fragments d’absolu dans les icones de givre et la dentelle des insectes, la relique des clous sous la prière des outils.

J’écris pour arriver à la hauteur du silence mais je me perds dans les mots, les méandres du sens, le désert noir de l’encre. Je titube du crayon dans les phrases trop longues pour la grandeur des mots. Je rap et je dérape sur le plancher des pages. Je m’accroche aux voyelles comme un insecte aux ronces, la bulle d’air du niveau qui échappe au maçon, le fil à plomb qui saute et perd la mesure. Je compte l’éternité sur les doigts d’une main, le temps qui reste à vivre sur les années-lumière. Lorsque le monde me parle avec ses nuages, ses éclairs, ses fleurs, les graines volatiles du pollen, je lui réponds de même. Je sors mon crayon et son archet d’images. Je joue du violon sur les cordes du cœur.

Les généreux auront toujours raison devant les généraux. La vie de chaque jour donne des lunettes aux riches mais sa lumière aux humbles. J’écris dans le souffle des bêtes, les mots coiffés de ronces dans le limon des phrases. La poésie n’est pas de l’ordre de la réflexion. C’est un réflexe de survie. Hormis quelques-uns qui dévorent mes lignes, sûrement quelques fous, des poètes inclassables, des vieux restés rebelles, mes mots servent de cale pour les chaises bancales. Chaque page est un rire qui s’ébroue, un cœur qui s’emballe, une jupe troussée jusqu’au suc des fruits, une chaise à porteur pour les folles du logis, un panier percé distribuant la pluie et le pain frais du rêve. Ma fortune est une poignée de riz dans la grande faim du monde, des lambeaux de poèmes, un chapeau cabossé par l’imagination et les coups de cœur du rêve, un carnet d’adresses mille fois raturées, une carte du ciel. C’est le moulin à vent des redresseurs de torts, toujours une longueur d’avance sur le nord des boussoles.

Je ne comprends pas qu’on ait si peur de la mort. On croise toujours quelqu’un qui va mourir. Tous les hommes le font. Je ne suis pas d’ici. Je parle d’avant-naître, de tout cet infini qui se donne en partage.

 


 

 

Publié dans Prose

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