Dans le fouillis du crin

Publié le par la freniere

Dans la poussière ou la rosée de l’aube, du blasphème au secret chuchoté, je traque l’absolu. Ce n’est pas un cri, ce n’est rien, presque rien, une feuille qui tombe, un rayon de soleil, un souffle de fourmi. Je récupère une ligne dans la paperasse des ténèbres, une phrase dans les arbres, une voyelle esseulée dans le silence des choses. Quand on écrit, le temps n’existe pas. Hier ou demain, qu’importe. Il n’y a que les mots. Je suis contemporain du premier homme sur terre. J’aiguise mon crayon comme on taille un silex. Je voudrais être lu en 1622.

Les jours de neige, je m’accroche au vol des mésanges. La terre et le ciel me servent de maison. Une fente dans les nuages me sert de fenêtre. Il n’y a pas de porte mais des sentiers perdus. C’est ici que je cultive mon jardin, entre les marges et les nuages. C’est ici que je m’éveille, que je nais. C’est ici que je mange et pas dans une assiette. C’est ici que je couds les blessures du temps et met de la couleur aux ombres de la nuit.

Je reste debout avec mes mots sur les épaules, mes rêves sous le bras, la peur dans mes pas qui me force à marcher. J’écris entre la maîtrise et la gaucherie, le manteau et le cœur, le marteau et le clou de girofle. Les émois s’entrechoquent et font vibrer la page, des bribes de vécu, des fragments d’impossible, des cheveux d’ange dans le fouillis du crin. La pensée de la mort me fait vivre. Le bâillon me donne la parole. La pensée du malheur me force au bonheur. Il faut s’aimer plus fort que le bruit des marchands, des balles, des autels et des télévisions.

Il faut démaquiller les fausses blondes du profit. Toute croyance lève sa dîme de martyrs. Ceux qui n’ont jamais aimé ont quelque chose de laid dans le regard ou dans le geste. La lumière des yeux reste à l’état latent, la caresse enfermée dans les poings, la tendresse cachée sous l’omoplate du rire. Je ne veux pas courber l’échine jusqu’au bas de la terre. J’ai quitté la tribu des chiffres. Je vis dans l’encre des voyelles, un verbe de sueur et de sève. Je bivouaque dans l’azur et l’œil du cyclone. Je rêve dans la bouche du volcan. Les mots sont un grand feu. Leurs flammes sautent de main en main, de proche en proche, de loin en loin.

Je ne suis qu’une goutte dans la pluie, un éclair dans l’orage, une braise dans la cendre, un galet rebelle dans la prairie des pierres. Mes blasphèmes se mêlent aux louanges, mes semonces aux mercis, ma semence aux caresses. Après la terre et ses miracles minéraux, après le fleuve et ses mouvantes métaphores, après le feu et ses phénix de neige, après le vent, après la pluie, nous volera-t-on jusqu’au soleil ? Je me souviens du feu jusqu’au bout de la cendre. 

Les mots ne se connaissent pas entre eux. Ils se rencontrent assis sur le blanc d’une page, les voyelles pendantes au bord de la marge, les syllabes en broussaille et le sens aux aguets. J’écris en écrivant. Je mets des mots là où il n’y a rien, du beurre où il n’y a pas de pain, des mains dans les gants égarés. Je cueille des fleurs sur la neige, des étoiles dans l’eau, des images dans la salive et l’air. Je touche les éclairs avec le bout des doigts. J’habite sur la branche d’un arbre, dans un nid de voyelles. Je cherche un brin d’espoir dans la paille sémantique. J’ai tout trouvé entre deux phrases, même la vie. J’y trouverai la mort, un jour ou l’autre.

Publié dans Prose

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A
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