Les lieux

Publié le par la freniere

On croit habiter les lieux, ce sont les lieux qui nous habitent. La petite chambre bleue sépare les poumons. Des livres s’accumulent dans le grenier du cœur, avec les vieux meubles et la poussière du temps. La cage thoracique sert de chenil au chien, un coude d’appentis pour ranger les outils. Il y a dans chaque doigt comme un berceau d’enfant. Un vieux poêle de fonte réchauffe les fantômes. Les fleurs sur la table frémissent à chaque respiration. La lucarne des yeux laisse passer la lune, les nuages, le ciel. Le sang afflue par les couloirs des veines, les corridors des neurones. Le vent siffle sur les murs quand on ouvre la bouche. On croit entendre le cœur, ce sont les robinets qui fuient, un pas dans l’escalier, un hibou sur le toit. Cette maison est froide de la taille aux épaules. L’épine dorsale frissonne avec ses fleurs de peau. Les gestes dorment dans la chambre des mains. Les vêtements sur la chaise semblent sourire au temps. Ce sont des ligaments, des nerfs et même des neurones échappés de l’asile. Des araignées dans le plafond ravaudent les trous de mémoire, recousent la pensée, tricotent les idées qui se préparent à naître. Les rayons-x dévoilent l’acupuncture des clous qui retiennent la peau à l’ossature du corps, les escaliers d’argile continuant la chair. Les chaises vides s’empilent autour de la mémoire. Pour échapper à l’ombre, il faut grimper plus haut que l’étage des joues. On se cogne au chambranle. On voit que c’est un os où s’attache la chair. L’eau dort dans les cruches aux veinules d’argent. Il suffit de déplacer les meubles pour inverser les rôles. Le lit sert d’écrin aux corps des absents. Le vieux tableau au-dessus du poumon droit nous sert de fenêtre. Les clefs tintent sans répit mais la porte s’enfuit. Le temps ronge les arêtes du toit. Le souffle des poumons se déchire sur les carreaux cassés. On doit sans cesse en nous repeindre les volets.


Publié dans Prose

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