Comme les poils d'un loup
J’ai quitté l’étroitesse des dédales pour la joie des pétales et les fuseaux horaires pour les fuseaux d’épines. J’ai arraché le givre sur l’échine, la glace sur la rose, le verre à moitié vide dans la soif encore pleine. J’ai troqué le feu de paille contre la cendre du phénix, traversé d’un mot l’oseille et le lilas, chaviré dans le thym, renversé sur la page la caresse du vent. J’ai traversé l’été mais l’hiver est venu. Les fleurs mortes au jardin ne font plus de lumière. Leur tige sans pollen transperce la rosée. Les oiseaux sont moins vifs et les arbres moins verts. Dans les treilles gelées, le vin devenu gris ne saoule plus que les ombres.
L’automne est déjà blanc comme les poils d’un loup. C’est la fin des cerises, des pommes, des vergers. On range pour l’hiver, en petits pots de verre, les fruits mûrs aux armoires. L’âme des poires brille dans les bocaux du jour. C’est la faim des chevreuils empêtrés dans la neige. On chausse les raquettes pour nourrir les mésanges. On chausse les patins pour traverser l’étang. Une robe de glace habille les érables. Les rideaux sont tirés sur le sommeil des plantes. Les congères font leur lit sur les fougères mortes. La terre dort en mottes avec les marmottes. Les oiseaux battent de l’aile à la remorque de leur chant et la résine embaume les muscles du sapin.
La main du froid tire les poignées de porte pour approcher du poêle. Le vent sile aux fenêtres et brise les carreaux comme un voleur de feu. Les grands épouvantails ont les bras lourds de neige, l’œil rempli de brouillard et la lyre en écharpe. Je ne reconnais plus mes pistes égarées. Je repeins de mémoire la mousse des rochers, la dentelle des pas, les sources souterraines. L’arôme n’a d’image qu’au regard des loups. Le soleil frissonne, toutes griffes sorties, sur la tôle des toits et les doigts des gouttières.