Les banquiers
Les lendemains qui chantent entonnent leurs fausses notes. Il n’y aura plus d’oiseau pour donner le ton, pas assez de bois pour un lutrin. On se fera des flûtes avec les os des morts, des semblants de violon avec la peau du givre, des tambours en béton. À la vue des banquiers, la lumière se cache dans les yeux des pauvres. Le vent tremble dans leurs manches. Le vol des oiseaux se terre dans ses ailes. La pluie se réfugie dans les tirelires des enfants. Le coq oublie de chanter. On volerait ses plumes pour en faire un cadran. Le ciel se replie dans les tiroirs des nuages. Les yeux des loups s’éteignent. L’air se fige au cœur de l’immobile. Les arbres se prennent la tête tout en comptant leurs branches. La terre a la mine basse des fillettes qu’on viole. La boussole du cœur ne garde plus le cap mais s’agite en tout sens. Tous savent ce qu’ils ont fait de Dieu, ce qu’ils ont fait des mots, des vivants et des morts, ce qu’ils ont fait des mains. Ils nourrissent les ruines mais affament les hommes. Ils ont troqué l’amour pour un bout de papier, le doute pour la foi, les billes de couleur pour des balles de fusil, les ballons pour des mines, le plomb des lignes à pêche pour le fer des canettes et le cadran solaire pour un écran géant. Ils ont cloué au sol les tentes des nomades et planté des drapeaux sur le moindre jardin. Ils ont fait de la mer un immense dépotoir, de la terre un linceul, de la guerre un besoin. Ils ont fait des faiseurs d’indicible des érudits boiteux. Ils ont fait de nos pères debout des baudruches de vent et des outres de vin, de nos grands-mères indignes des lavettes à genoux, de nos mères hasardeuses des testeuses de pilules et de romans-savon. Ils ont fait des enfants une monnaie d’échange et du sexe des femmes une fente à monnaie.