La chrysalide
Échappés de la grange des mains mes doigts courent vers toi, tes cheveux d’avoine rousse, ton pâturage de caresses, le vertige de vivre, les flammes orange des glaïeuls. Qu’importe à présent mon cœur en miettes, mon âme en guenilles, mes genoux en sang, mes trous de mémoire, mes lapsus, mes absences. Tu recouds d’un baiser tout mon ancien désordre. Il ne fait jamais nuit quand je veille sur toi. L’infini brille dans tes yeux. La tendresse t’habille d’une laine parfaite. Mes désirs sont grands. Je les aiguise pour toi depuis des millénaires. Je te veux toute entière. Je me donne tout entier. Je veux danser. Je veux aimer. Ton souffle m’entre dans le corps et vient baigner mon âme. Il m’arrache du sol et m’emporte si loin. Le temps ne passe pas pour l’un sans que l’autre le suive. Ainsi dans la distance s’étreignent nos deux voix.
Je suis parti depuis longtemps. Je suis parti vers toi. Je ne suis pas ici. J’ai desserré les heures, coupé le fil des choses, brisé la chrysalide. Dans la grande nuit du monde, ma seule veilleuse est celle que tu allumes. Je suis parce que je suis en marche vers toi. Je suis ma voix qui me précède et touche tes oreilles. Je suis parce que je suis la voie que nous traçons. Je suis dans l’air que tu respires et la substance des feuillages. Je suis parce que nous sommes. Je te suis jusqu’à nous. Je suis ton eau jusqu’à la source, ton pain jusqu’à la graine, ta sève jusqu’à la fleur. Je ne suis que par toi. Je suis la terre couleur de ciel, la fraîcheur des feuilles sous le bleu de la pluie, l’infini qui éclot dans le regard des choses, la braise qui demeure dans la cendre des jours. Il y a derrière le ciel un autre ciel plein d’étoiles. Il brille dans tes yeux. Même la distance est devenue l’étreinte où tout devient lumière, où nous touchons à deux l’extase des galaxies.
Quand tu regardes au sol, les pierres font briller le soleil dans tes yeux. Même si la pluie mélange les odeurs, je reconnais la tienne d’un bout du monde à l’autre. Je voudrais tant toucher tes larmes, mettre un peu d’arc-en-ciel sur la poussière du sel. Tu n’es pas seule, tu sais. Tu ne seras plus seule. Je viens t’aimer toujours, répandre l’eau des fruits pour calmer ta douleur. Je sais bien que les mots sont un rempart fragile mais j’y porte mes bras, mes épaules, mon cœur. Je t’aime jusqu’à la transparence. Tu peux tout lire en moi, de la cave au grenier, de la fleur à l’abeille, du silence à la voix, du lointain familier à l’inconnu si proche. Nos âmes se déversent au fond du même vase.
Je voudrais tant lécher tes larmes, partager le même pain. J’avance les pieds nus sur le plancher du cœur, jusqu’à l’aigu de toi, jusqu’à la source même. Viens te blottir en moi comme les vagues sur une île, la chair touffue d’une rose. Je t'aime. Viens te trouver en moi comme je me trouve en toi. Je cours vers ta vie. Je marche sur la page sans enfiler mes bottes. Mes mots craquent pour toi sur le béton des jours. Je monterai la tente loin des mochetés du monde, au milieu des broussailles, dans la clairière du cœur. Je dresserai la tente comme un dessin d’enfant au milieu des pervenches. Les larmes de l’automne feront un arc-en-ciel de toutes les couleurs. Nous ferons l’amour comme les libellules, le sac et le ressac, le pollen et la fleur, le nuage et la plaine. Nous ferons l’amour comme les hirondelles, les chevaux de la mer, la sève dans un arbre, le soleil et la pluie.
Avant toi, je n’avais plus que la peau sur les mots. J’ai maintenant la vie à tenir à bout de bras. Ton corps est devenu ma voix. Je supprime quand tu n’es pas là. Je respire mieux quand tu aimes. Mon corps zébré de ratures, toi seule a su le lire. Mon cœur rencontre de nouveau ce qui l’attendait. Nous sommes là. Tu es au rendez-vous. Tu presses ton visage contre ma joue, ton corps contre mon corps. Je peux palper du doigt la poitrine du vent, les seins de l’espérance, les battements de l’âme. Sous la dépouille du matin, le jour relève ses vertèbres. Le monde s’ouvre à l’intérieur de ses pétales. Nous respirons la vie. Tout est présent. Tout est donné à qui demeure ouvert.