Le rêve se cache

Publié le par la freniere

J'ai moins peur des loups que du jugement des hommes. On ne ravaude pas les trous de mémoire avec du fil de fer. On ne pend pas les mots avec le fil du téléphone. On n'attache pas les heures avec le fil du temps. On ne passe pas sa langue sur le fil du couteau. On ne ramasse pas le meilleur des mots. Il tombe seul sur l'humus du silence. Certains matins, je m'éveille avec les mains tachées de phrases. Ma bouche n'est qu'une coquille vide sans l'escargot des mots. Sous les doigts du potier, un petit homme de boue se retrouve debout à porter la lumière. J'offre le bol de mes paumes au grand chien du silence.

Je trébuche sur les mots les plus simples, confondant la cendre avec le sang, la barbe avec les poils de rhubarbe, le rouge de Soutine et le bleu de Van Gogh, les sonates de Mozart et les cantates de Bach. Je mélange la queue du poêle et l'accent du poème. Je lie mes phrases avec du roux et je mange mes mots. Mes consonnes volent à peine comme des oiseaux de basse-cour et laissent sur la page des coquilles d'imprimerie. Les images tombent dans les pommes et font de la compote. L'encre s'évapore dans le bruit des assiettes. Les idées noires mettent un visage de clown sur le deuil des choses.

Dans les nuages qui passent, certains voient des bêtes fabuleuses, des licornes ou le visage de Dieu. Je n'y vois que de l'eau mais j'entends l'univers dans le chant d'un oiseau. Sur la page encore blanche, je suis comme ce nain dessinant des géants, le galet d'une plage se prenant pour une île, le grain de sable accouchant d'une montagne. Il arrive que le grand vent se traîne à plat ventre sous les portes. Il se relève toujours et bourrasse les meubles en grognant de plus belle. Il faut se méfier lorsque l'espoir frappe à la porte. Ce n'est souvent qu'un vendeur d'assurances, un marchand d'illusions, un éboueur qui ramasse les larmes pour en faire un collier, un huissier de passage qui vient saisir l'âme.

L'index agenouillé sur un tapis de souris, passant d'une icône à l'autre, les hommes se cherchent un Dieu sur un écran plasma. Tendant leurs mains par les trous de mémoire, mes lapsus mendient un peu de ciel d'été, un souvenir d'étoile, une fraîcheur d'enfance. Il ne sert à rien de courir. On ne distance pas la mort en changeant de fuseau horaire. La jeune fille qui vient croise un vieillard qui va. Ils se parlent trop peu pour en faire un poème. Les messages des anges ne sont pas entendus ni les battements de paupières dans le vol des oiseaux. Leurs cœurs sont trop gros et leurs larmes trop lourdes. Le vent plié en quatre est une lettre sans timbre et sans destinataire. Elle se perd comme un mot dans la lecture des traces et la rumeur des livres.

Je laisse la porte ouverte aux quatre vents. Des orties poussent sur le bord des fenêtres. Le lierre grimpe aux pattes de chaise. Derrière la boite à pain, les souris grignotent les voyelles dans le semis des miettes. Le goutte à goutte du robinet marque son territoire. J'écris le marteau dans une main et le stylo dans l'autre. L'odeur de l'encre se mêle au chèvrefeuille. Sur la terre des pages, je plante les mots comme des fleurs. De grands légumes sémantiques dégorgent de rosée. Sous les lèvres du vent, des plantes en dents de scie mastiquent les consonnes. Je cultive les idées fixes comme d'autres les bleuets. D'une chaise vide à l'autre, les fantômes s'engueulent. Leurs voix tiennent tête à la tempête qui frappe sur le toit. Je fais du pain avec mes mots. Mon bouillon de soupe est un brouillon. Entre deux mots d'amour, quelques jurons fleurissent et courent d'une herbe à l'autre. Un fil invisible relie chaque parole. Avec la maladresse des tendres, je réveille le rêve dans la demeure des fatigues.

Publié dans Prose

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