Je marche avec mon écriture

Publié le par la freniere


Cet hiver, il a neigé des flocons gros comme des oies sauvages. Seul le courage des mésanges à réchauffer le cœur. Le printemps doit travailler plus fort, les pieds loin du bacul, les oreilles dans le crin et l'espoir à l'ouvrage. Il doit remettre des ressorts aux sauterelles, des lumières aux mouches à feu, de la graine à la terre et les ruisseaux en face des trous. Le soleil d'avril a rongé les dernières banquises, même les débris du pont de glace. Le bruit des chasse-neige ne heurte plus les arbres ni les bords des fossés. La neige perd sa croûte. La terre a hâte d'être nue sous les bras du soleil. Il sort de la boue chaude du ventre des vasières. Le gris, le froid, le vent ont fait place aux couleurs. Les jours ont la peau fraîche, de grands yeux de printemps. Ça commence à bouger dans le placard aux fleurs, le ventre plat des champs, les mamelons des collines. Le poumon vert des forêts peut reprendre son souffle. Sautant de branche en branche, les écureuils jouent à la tague, les pies au paquet voleur. Dans ma cabane d'oiseau, un quiscale squatte le nid des hirondelles. Je lui tire des roches qu'il prend pour des œufs de Pâques. Les feuilles à peine vertes applaudissent le vent. Depuis que mon loup est mort, les taupes ont labouré mon seul bout de pelouse. Elles ont laissé partout des cicatrices de terre. Sur le gazon humide, des objets disparates reviennent du paradis des choses avec leur âme en moins, un frisbee mâchouillé, un soulier mort de faim, un manche de marteau orphelin de sa tête. Juqué sur le haut du jour, je laisse mes mots courir la galipote. Ils mènent aux étangs, à la mousse, à l'écorce. Je ne compte pas en pois chiches ni les os du malheur. J'ai mes sous d'herbe verte, ma tirelire de sève, mon trésor d'humus. Je m'accoude au comptoir des arbres. Muselés trop longtemps, les oiseaux ne savent plus se taire. Avec mon chien sur les talons, je me fais le berger des pierres, le pâtre des saisons, le fermier des fougères. La bêche sur l'épaule, je marche avec mon écriture. Je brûle au petit feu des mots les feuilles mortes de l'encre et le bois sans lumière.

Publié dans Prose

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