Louis Scutenaire

Publié le par la freniere

Docteur en Droit à l'Université Libre de Bruxelles (1924), il s'inscrit au Barreau et plaide au pénal (1931-1944). Il défend les délinquants. Après la guerre, il entre comme fonctionnaire au Ministère de l'Intérieur où il reste jusqu'à l'âge de la retraite, réussisant à ne pas perdre sa vie à la gagner. En fait Scutenaire ne s'intéresse foncièrement qu'à l'écriture, surtout depuis 1926, année où il découvre le surréalisme et surtout Paul Nougé.

Collaborateur à la revue surréalisre, il publie son premier recueil de poésies en 1927. Il rencontre Magritte, Marcel Lecomte et Irène Hamoir... la poétesse qui devient sa femme et qu'il célèbre à de nombreuses reprises dans son œuvre. Esprit insoumis, révolutionnaire, violent, destructeur de tabous, toujours en révolte contre la société vache, il trouve dans le groupe surréaliste de Bruxelles le lieu d'expression de ses pulsions. Un de ses moyens d'action est l'écriture automatique.

Membre de l'Association culturelle révolutionnaire (1933), collaborateur à Documents 34, il conduit poétiquement des entreprises anti-littéraires, en usant du collage et du plagiat.

En mai 40, Scutenaire fuit en compagnie de sa femme, de Magritte et d'Ubac dans le sud de la France, à Carcassonne, où ils retrouvent quelques grands artistes et intellectuels eux aussi en fuite. Scutenaire rédige alors une sorte de journal de bord, rassemblant des historiettes, des maximes ou des déclarations de sympathie pour la bande à Bonnot et le communisme : Gallimard publiera le premier volume de Mes inscriptions (1945). Quatre autres volumes sortiront trente ans plus tard.

Déçu du communisme dont il attendait beaucoup (1947), il l'abandonne totalement et n'épargne pas Staline.

Déçu du surréalisme, dont il regrette le côté commercial et le fait qu'il soit devenu une école, il s'en écarte quelque peu : s'il est un mouvement qui fait penser à l'industrie sucrière, c'est bien le surréalisme : peu de suc, beaucoup de pulpe. Collaborateur de la revue Les Temps Mêlés que dirige le pataphysicien André Blavier, il écrit aussi pour Rhétorique, Lèvres Nues et Vocatif.

Outre ses Inscriptions, Louis Scutenaire n'écrit pratiquement plus que pour ces revues. Son œuvre passe même inaperçue lorsque, en 1962, Fréderic Dard prend sa défense et le réhabilite. Le Grand Prix spécial de l'Humour noir viendra couronner en 1985 l'entreprise anti-littéraire de cet anarchiste de la langue.

Le cœur du Golem
Le Golem est un méchant
Il s'avance pesamment
Durant ses vacances au bord de la mer
Avec l'espoir désespéré que tout ira pour le mieux
Partagé entre la répugnance et la curiosité
Son œil écarte les enfants joueurs
Son cœur saute dans la bourriche
Quand il sera puissant à Paris
Il entend qu'on l'invite chez le pauvre
Comme dans la salle d'attente d'une gare
Dont le feu s'est éteint et la lampe
Il est près de minuit et l'on n'entend rien
À part le son grave de l'herbage qui rompt le silence
L'huile grésillante des rosées
Le Golem veut Ghislaine la jeune propriétaire
Plus que le cerf n'a souhaité la biche
Livide Ghislaine dont tant l'enchantent
Les pâles couleurs et la jambe forte
Elle est toujours vêtue de frais
Elle a son portrait sur sa porte
Il y a quelque chose d'attirant chez les filles
Leur beauté
Si le Golem est marqué du signe de l'infini dit-il
À la jointure des deux premières phalanges
Au majeur de la main droite
C'est qu'il s'est brûlé avec la cafetière
À l'aurore en passant le café
Et non pas dans le meilleur d'elle-même
Avec la tenancière d'un débit
Les portes s'enclenchent machinalement
Pour s'ouvrir ou se fermer sur le soir ou le matin
Dans une musique de tambours
À Balleroy derrière les feuillus
Dans le bassin lorrain vers Leursang
Les trains ne passent plus depuis hier
Tout le monde attend
La nuit est un oiseau dans le mur noir
C'est le Romantisme
On a dit à la Princesse
Non pas qu'elle a de jolie fesses
Ni qu'il faut écouter la messe
Mais qu'elle est marquée du signe de l'infini
Qu'elle est marquée et lui aussi
Le Golem
Ce vieil homme qui fait pitié

• J'écris pour des raisons qui poussent les autres à dévaliser un bureau de poste, abattre le gendarme ou son maître, détruire un ordre social. Parce que me gêne quelque chose : un dégoût ou un désir.

• C'est étonnant combien les honnêtes gens ont une connaissance parfaite de la saloperie.

• L'avenir n'existe qu'au présent.

• Il y a des gens dont je pense tant de mal qu'il est inutile que j'en dise.

• Chaque fois qu'il y a un type qui meurt, ce n'est jamais le même.

• N'oublions pas que nos maîtres ont des âmes d'esclave.

• Ce sont des hommes publics : ils sont sortis de l'ombre pour entrer dans la boue.

• L'homme a passé du règne de l'absurde au règne de l'absurdité.

• Je n'ai pas d'autre but que la libération totale de tout ce qui vit.
Et rien n'est qui ne vit pas.

• La vie sera bonne quand le travail sera pour tout le monde un luxe.

• Vous dormez pour un patron.

• Crier Vive la vie c'est, enchaîné dans une maison qui brûle, crier Vive la crème glacée ! Crie tout de même : on ne sait jamais ce qui peut arriver.

• Il est malaisé de rester fidèle à des amis qui ne demeurent pas fidèles à eux-mêmes.

• Le jugement implique aussi la condamnation du juge.

• Quand j'étais tout jeune, les accidents de travail étaient si fréquents dans mon pays que les gens, au passage d'un mort suivi du train de ses funérailles, ne demandaient pas : Qui est-ce ? mais, avec leur noire ironie : Quel trou ? ce qui voulait dire : Dans quelle carrière a-t-il été tué ? Comme si toutes ces morts n'eussent point suffi, aux grèves les gendarmes venaient tirer sur les ouvriers. Je me souviens d'une manifestation que j'avais suivie sur les épaules de Mémé Diablot. Les gendarmes tirèrent et, nous jetant sur le sol, nous avançâmes à plat ventre pendant bien trois cents mètres. À côté de moi, un grand type en velours à côtes, Victor Pintat, hurlait dans son enthousiasme émeutier et dansait en rampant.

• J'admets tout hors ce qui tend à me tenir dans une condition servile.

• Qui fit rager ses voisins enchanta leurs enfants.

• Il est regrettable pour l'éducation de la jeunesse que les souvenirs sur la guerre soient toujours écrits par des gens que la guerre n'a pas tués.

• Les chefs sont des salauds puissants ; les sujets, des salauds en puissance.

• Prolétaires de tous les pays, je n'ai pas de conseil à vous donner.

• Gendarme en colère pue plus encore que d'ordinaire.

• Donnez votre surplus au pauvre pour que le riche puisse le lui prendre et guérissez les lépreux pour qu'ils retournent à l'usine.

• Amoureux du facile, je préfère les sensibles - qui ont des lumières au bout des doigts - aux penseurs - qui ont une lampe dans la tête - parce que la clarté perce mal les os du crâne.

• Louis : Neuf fois sur dix j'ai raison.
Lorrie : Le malheur est qu'il y a souvent des dix.

• La plus ancienne profession du monde est hélas celle de prêtre.

• Il ne faut pas désirer les biens du riche, il faut l'en dégoûter.

• J'ai trop d'ambition pour en avoir.

• Agrandir et améliorer les cages est le contraire de les abolir.

• Se suicider ! Mais on passe la vie à le faire !

• Un grand travailleur est un pauvre diable qui s'ennuie.

• On obtient beaucoup plus d'un nanti en lui donnant des coups de poing qu'en lui tendant la paume.

• L'existence des chrétiens prouve la non-existence de Dieu.

• Le chômage est déplaisant parce qu'il n'est pas tout à fait généralisé.

• Après avoir œuvré dans la nonchalance, je me suis converti dans l'oisiveté.

• Il fut un temps où les esclaves ne pleuraient la mort de leur maître que par crainte d'un autre.

• La seule épopée qui me touche est celle de la bande à Bonnot.

• Équilibriste de génie sur flammes de chandelles.

• Je hais le travail au point de ne pouvoir l'exiger d'autres.

• Organiser une expédition pour explorer le banal.

• Ne manquez pas de m'annoncer les décès, s'il y en a ; les nouvelles font toujours plaisir.

• Je viens m'ennuyer avec vous pour dissiper mon ennui.

• Tout est hypothèse. Même cette idée.

• Chapardage et héritage sont les deux mamelles de la richesse.

Morceaux choisis extraits de Mes Inscriptions (1943-1944), Allia, 1982, 276p. - Mes Inscriptions (1945-1963), Allia, 1984, 298p. - Louis Scutenaire par Raoul Vaneigem, Seghers, 1991, 186p.

Publié dans Les marcheurs de rêve

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