Marcel Moreau

Publié le par la freniere


Egobiographie tordue


 

Marcel Moreau est né le 16 avril 1933 à Boussu en Belgique.

"Le Borinage dont je me souviens nie la transparence. il a des boursouflements de moricaud rossé (...). La mine est là comme la partie honteuse de la nuit (...)On ne peut vivre aussi longtemps de fouilles et de houille sans se retrouver à l'heure de la remontée finale, le teint terreux, la peau ridée, l'oeil funèbre (...); Le Borinage m'attirait par ses entrailles. Je rodais près des carreaux de mines, je donnais des rendez-vous d'algarade et de flirt au haut des crassiers".

"Un jour j'écrivis au directeur d'un charbonnage mon désir de descendre. Ma lettre resta sans réponse. Mais peut-être est-ce alors que les souterrains que je ne pouvais visiter commencèrent à s'insinuer en moi. En les recréant mentalement, mon imagination s'étançonnait d'eux. Cette psychologie des galeries qui est la mienne n'a pas pu ne pas prendre un peu de son ombre et quelques unes de ses veines à ce monde interdit"

"Wasmes et Cuesmes sont des villages borains. Cela s'écrit comme une fin de quinte, comme un halètement rauque de raucheur. D'autres finissent en U : Flénu, Hornu. ceux-là sonnent drus et obtus. Puis il y a le gnon de Quaregnon, pan de l'oignon. Aussi la série des IE : Eugies, Herchies, Frameries, la Bouverie qui mettent un peu de vie  dans la toponymie. Enfin, il y a le tout petit Hainin, comme une haine de nain. Moi, je suis né à Boussu, toute boue sue"

"Mon père était couvreur. Je louchais du subconscient : un œil dans la mine, l'autre sur lui. Le gouffre et les hauteurs simultanément épiés, créateurs d'un unique émoi. De mon père, j'admirais le glissement sur les tuiles, en évadé, en rocambole, , mais aussi parfois, la pâle, la lente reptation. C'était un couturier des toits. Il ne pratiquait certes que l'alpinisme des humbles, néanmoins, il connaissait le royaume du vent (...) Acrobate pur de public, funambule méconnu, mon père fût-il mon premier héros ? Je le crois (...°J'étais à son chevet lorsqu'il nous quitta en 1948. Il avait cinquante et un ans, moi quinze. Il s'appelait Nazaire".

"Soutien de veuve, je dus abandonner mes études. Sans cela, je les eusse quand même compromises tant il est vrai que je n'avais à l'école qu'une vague  intelligence des mots, non la volonté de réussir. J'étais un élève affreusement moyen."

"Dans ma famille régnait une sorte de puritanisme sans Dieu. Lorsque je rentrais à la maison, toute trace de la vie des sens avait disparu, balayée désodorisée. J'avais l'impression d'être réellement né dans un chou. Je me prenais  pour un anormal, avec mon sexe en émoi, ma pensée esseulée s'inventant le nu et l'abus dans la nuit lourde".

"La mort de mon père met fin à mon inconscience. Tout ce qui l'a précédé  a été l'enfance des sens. Tout ce qui la suivra sera l'enfance du verbe"

 


 

Extraits



"Qu'arrivera-t-il quand ayant tiré de mon corps ce que mon corps avait à dire, sur cette vie, tout au long de cette vie, il n'y aura plus a en écrire que la mort ou le silence?
Le corps a donné corps à ma rage d'interpréter l'Homme, et le monde.
L'exploration des ténèbres, c'est lui.
L'extraction de la lumière, c'est lui.
La reconnaissance de l'âme, lustrale ou cloacale, c'est lui.
Les grands sentiments, l'impérieuse luxure et le traitement des obsessions qui comptent : les sens, non-sens et contresens de l'existence, c'est encore lui.
Lui enfin, l'informe entonnoir où se pressèrent, à l'en obstruer, mes désirs, mes ivresses, mes souffrances, mes passions mécréantes et créantes."

Insensément ton corps, Cadex (1996)

"Kamalalam était enfin sans racines nationales, tant alors le pays où il est né lui apparaissait artificiel, lourdaud, trop exigu pour son appareil respiratoire et son besoin d'espace; et même sans racines régionales, puisqu'il considérait "son Borinage comme quelque chose qui se mourait, qui perdait une à une ses traditions, la volonté d'affirmer sa différence, qui se laissait détruire par le fallacieux credo de l'unité nationale"
Kamalalam, L'Age d'homme (1982), pages 62-63.

"Vautré sur l'ardoise, progressant vers la flèche, mon père semblait à la merci du ciel, d'une taloche du diable. Il gravitait autour d'une verge immense rêvant d'enfiler les nuées. "
Egobiographie tordue - Quintes (1964)

 


 

 

Bibliographie


Quintes, Buchet-Chastel (1963)
Bannière de bave, Gallimard (1966)
La Terre infestée d'hommes, Buchet-Chastel (1966)
Le Chant des paroxysmes, Buchet-Chastel (1967)
Écrits du fonds de l'amour, Buchet-Chastel (1968)
Julie ou la dissolution, Christian Bourgois (1971); réd.Jacques Antoine (Bruxelles) Les Eperonniers (1984)
La Pensée mongole, Christian Bourgois (1972); Ether vague (1991)
L'Ivre livre, Christian Bourgois (1973)
Le Bord de mort, Christian Bourgois (1974)
Les Arts viscéraux, Christian Bourgois (1975);Ether vague (1994)
Sacre de la femme, Christian Bourgois (1977); éd. revues et corrigée, Ether vague (1991)
Discours contre les entraves, Christian Bourgois (1979)
A dos de Dieu ou l'ordure lyrique, Luneau Ascot (1980)
Orgambide scènes de la vie perdante, Luneau Ascot (1980)
Moreaumachie, Buchet-Chastel (1982)
Cahiers caniculaires: écrits au fond de l'écrit, Lettres vives (1982)
Kamalalam, L'Age d'homme (1982)
Saulitude, (Photos Christian Calméjane) Accent (1982)
Incandescence, Labor (1984) + Egobiographie tordue
Monstre, Luneau Ascot (1986)
Issue sans issue, Ether vague (1986) ,(1996)
Le Grouilloucouillou, en collaboration Roland Topor, Atelier Clot, Bramsen et Georges (1987)
Treize portraits, en collaboration avec Antonio Saura, Atelier Clot, Bramsen, et Georges (1987)
Amours à en mourir
, Lettres Vives (1988)
Opéra gouffre
, La Pierre d'Alun (1988)
Mille voix rauques
, Buchet-Chastel (1989)
Neung, conscience fiction, L'Ether Vague (1990)
L'Oeuvre Gravé
, Didier Devillez (1992)
Chants de la tombée des jours, Cadex (1992)
Le charme et l'épouvante, La Différence (1992)
Noces de mort, Lettres Vives (1993)
Tombeau pour les enténébrés, L'Ether Vague  (1993)
Bal dans la tête, La Différence (1995)
Insensément ton corps, Cadex (1996)
La compagnie des femmes, Lettre Vives (1996)
Les arts viscéraux
, L'Ether Vague (1996)
Intensément ton corps, Cadex (1997)

 

Sa voix: http://www.dmnet.be/voix/main/fr/pgatfr/autfr14.html

Hommage à Michel Camus

http://membres.lycos.fr/mirra/bioMCamus.html

Il y a des silences comme ça, plus inouïs que d’autres. On ne se fait pas à leur éternité. Je ne sais comment m’y prendre avec le silence de Michel. Je le voudrais chaque jour recommençant à dire, en nous qui l’avons aimé. Il y avait de son vivant un silence selon Michel, un fort secret de dire, unique, inimitable, tendu à l’extrême, et qui n’avait pas son pareil pour parler à mes fracas.

Mes fracas ne l’écoutaient pas toujours, je le regrette, ils avaient tellement à faire avec la surdité de ma nuit. L’ami me comprenait. Par sept fois, par ses sept livres, il donna sa confiance à mes orgues charnelles. (Claire, je pense à toi, aussi, évidemment).

Non, je ne sais comment m’y prendre avec ce dernier souffle. Ne l’ai pas recueilli, n’avais pas l’oreille à ça. Il était de trop, n’étant pas poétique, le seuil à ne pas l’être, au bout de la longue succession des chants. L’ami a beaucoup chanté. Il a chanté l’amour, l’absolu, la lumière, le jouir, les ténèbres, l’absence de Dieu, le sacre de l’Absence et celui du Désir. Il a tout chanté et jusqu’à la Mort même, la Mort à la fin surtout, sauf qu’en son dernier souffle, il y eut cet arrêt sur non-dit, non-chanté, quelque chose ou quelque rien, mais vraiment, comment savoir quel nom porte, ou à quel mot correspond semblable interruption de tout ?

J’ai vu Michel s’en aller de consomption. Il nous quittait discrètement, sans se plaindre, malgré les ravages. Lents, ces ravages, donc d’autant plus inexorables. Mais il avait l’adieu économe, de ceux qui répondent « ça va » à la stupide question. Pudeur ou résistance, ou les deux, il nous empêchait parfois d’y croire, à son mal. C’est peut-être encore un art, fier et démodé, un « art d’honneur », que de cacher aux proches ce qu’on connaît, dans sa propre chair, du sens perdu de vivre.

J’y ai cru, j’ai bien dû croire à la perdition, alors qu’un certain jour de décembre je me trouvais chez lui pour la sortie d’Orgambide.

Il était là. De moins en moins ici et là, voix et corps décimés. Il rassemblait ce qu’il pouvait de ses esprits, auteur de son Esprit, à demeure, lui, comme une basse continue.

Et pourtant, ce jour-là, quelle chaude présence que la sienne, malgré les vacillations… Quel effort pour ne pas nous manquer, pour qu’on ne manque de rien. Sa générosité… Il me souvient de son regard, grand attentif, attentionné s’il en fut, et transperçant. Trans, préfixe cher au Poète. Trans de transcendance, de transquoditienneté, et j’en passe de ces mots qui semblaient vouloir nous rappeler à tout prix son obsession première : se traverser, se rendre traversable, au besoin par la lance recourbée de l’insatiété du fou. Se porter, sans cesse, au- delà de soi si l’on veut toucher, ne serait-ce que toucher, au sens inatteignable. Sa part de violence… Belle, belle…

Qu’on ne s’y trompe point, ce que j’écris de lui n’est pas triste. La tristesse est crématoire. Elle était au crématorium. Trop de cendre nuit à la mémoire du feu. Aujourd’hui, j’écris que Michel a brûlé, et que visiblement brûlant il le reste, le restera. Il n’y a pas d’urne qui puisse contenir cela qui le consuma. Je ne serai plus triste, désormais, sachant relire en moi les lettres vives de cette incandescence. Et c’est comme un sourire, ou comme une mélodie, qui me vient, soudain, pour ne pas oublier, pour n’oublier jamais cet homme, ni son goût du silence, ni le suivi de ses voix.

Marcel Moreau

Publié dans Les marcheurs de rêve

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