Ile Eniger

Publié le par la freniere

Il faut ouvrir le livre d'Ile un après-midi d'été, à l'instant où tous les clochers de Provence sonnent trois heures; pendant que les chats dorment sous les lauriers roses et que la campagne brûle d'Avignon jusqu'à Nice. L'ouvrir dans une chambre, volets tirés, comme pour une sieste ou l'amour. Sentir sous les doigts l'odeur, le grain, la peau de ce papier et voir se dresser ces silhouettes noires dans la touffeur immobile que déchire le cri des martinets. L'ouvrir au hasard, entre la canicule blanche et l'eau bleue d'un miroir; écouter une enfant de sept ans penser à sa mère, à toutes nos mamans qui sentaient bon, qui étaient belles, portaient de jolies robes d'été et chantaient le dimanche, avec des ongles roses. Puis suivre cette enfant dans les yeux des chats, les baies sauvages, les cerises, le thé brûlant. Tourner les pages et regarder grandir cette femme, nue, feu, colline, valse... La regarder venir depuis les Terres rouges dans ses longues robes de brume, de lumière et de nuit.  René Frégni

 

Le millimètre d'herbes

Je ne serai jamais un dimanche tranquille sur une place calme d'un village nommé. Ni la flaque chauffée entre des dunes fades, ni le soleil en boîte, la raison installée. Je ne serai jamais une autre que moi-même, ce galop échappé qui va au plus petit, son étreinte gravide nouée aux flancs des terres. Pleine source, pleine eau, sans couloir, sans fontaine, sans but, planche de peu sur le vide des peurs. Sur la marche du jour qui creuse la montée pour amorcer l'élan, je suis du non savoir, de la vie qui jaillit. A la fureur des hommes, je choisis l'indécence, l'hiver en laine blanche qui usine l'été, les mains calleuses et justes des éleveurs de vigne, une ivresse du beau qui dresse les regards et cintre les caresses. Je ne serai rien d'autre que ce qui parle vrai, du millimètre d'herbe plus grand que les discours à la neige au soleil qui enfantent un ruisseau, des dignités de bêtes qui naissent sans escorte, aux patience de graines qui portent des forêts. Dans l'atelier du jour, je cale mon épaule, les tenants de la foudre ne me dérangent pas. Et plus noble que l'homme l'orage garde un sang de terre originelle. Je ne crains pas le cri, le doute élémentaire, les fautes, les jachères, je crains le plein du vide qu'amoncelle l'humain, la rumeur propagande qui fait serrer les mots dans une seule écorce et qui cloue les oiseaux sur les portes des rêves. Nous sommes du néant comme du tout à naître, de la paille et du feu, des pierres immobiles au ventre de vertige, leur géode au milieu et le coeur en navette. Entrée dans la salive par la langue des sens, je libère des mots que je ne connais pas mais qui me reconnaissent. Les syllabes premières qui savent de la table le corps de tous les arbres. Lorsque je pose un doigt sur le papier à suivre, je sais un gouvernail qui happe mon poignet, me traverse et s'en va et qui me tient debout par l'espace à comprendre. Une parcelle d'air loin des tripots de ceux qui ont vendu leurs ailes pour des billets de banque et meurent feu au cul de leurs désirs mortels. Et les phrases s'engouffrent, en appétit de vivre, je ne serai jamais de la froideur mentale, mais du pain qu'on pétrit et que l'on remercie avant de le manger. On vit comme on construit, d'abord dans l'intention. Je n'empaillerai rien, mais je réchaufferai. Quand l'inconnu s'avance, mes mains sous sa chemise n'ont aucune arrogance mais la grâce d'y croire. Je ne serai jamais que celle de passage qui écrit des réponses qu'on ne lui demande pas.

 

Bibliographie:

 

Editions Cosmogonies:

La Parole Gelée

Les Terres Rouges

Un Pile de Livres sous un réverbère

Du Feu dans les Herbes

Celle qui Passe

 

Editions Chemins de Plume:

Du Côté de l'Envers

Il n'y aura pas d'hiver sans tango, mon amour

Le Bleu des Ronces (à paraître)

 

Collodion:

L'Inconfiance   livre d'art

                       sérigraphies de Claire Cuenot

Publié dans Les marcheurs de rêve

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