Jeannine Baude
Poète et critique, née le 18 octobre 1946 à Eyguières dans les Bouches du Rhône. D.E.A de Lettres Modernes (Aix-en-Provence U1). D.R.H. dans une entreprise privée pendant plus de vingt années. Actuellement vit et travaille à Paris. Originaire des Alpilles, elle a suivi la route des rocs d'est en ouest et revient depuis Saint-Rémy de Provence et Cassis, des Hautes-Tatras à la Pointe de Pern, d'Ouessant à New York sur le lieu de houle intime : le poème. Elle aime à dire « J'écris avec mon corps, je marche avec mon esprit » ou bien « Je commets le délit d'écriture » ainsi explorer l'indéfinissable champ.
Bibliographie
Île corps océan/Isla cuerpo océano (traduction en espagnol de Porfirio Mamani Macedo, L'Arbre à Paroles (Belgique) 2007
New York is New York, Tertium Éditions, 2006
Rêver son rêve, gravures de Claire Chauveau, Atelier Tugdual, 2005
Le Chant de Manhattan, suivi de Piano Words, Seghers, 2005
Colette à Saint-Tropez, Images en Manœuvre éditions, 2004
L'Adresse à la voix, Rougerie, 2003
Venise, Venezia, Venessia, Editions du Laquet, 2002
Ile Corps Océan, co-édition L'Arbre à Paroles-Ecrits des Forges, 2001
Le bol du matin, Éd. Tipaza, 2001
Labiales, A.Benoit, 2000
Un bleu d'équinoxe, avec des encres de Michel Carlin, A.Benoit, 2000
Océan, Rougerie, 1995
Concerto pour une roche, Rougerie, 1995
Correspondance René Char - Jean Ballard 1935-1970, Rougerie, 1993
C'était un paysage, 1992, Prix Artaud 1993
Parabole de l'Eolienne, Rougerie, 1990
Ouessanes précédé de Mémoire de l'archipel suivi de Epaves étoilées, Sud, 1989
Incarnat désir, Rougerie, 1988
Eclats de sel, La Coïncidence/Le Pont de l'Epée, 1980
Les feux de l'été, La Coïncidence/Chambelland, 1977
Sur le chemin du doute, Millas-martin, 1972
LE CHANT DE MANHATTAN
(extraits)
La neige anime la fenêtre. Le pont de Brooklyn s'alourdit. Les oiseaux ramassés en
grappes, ourlent les fontaines. Il y eut un silence avant - my heart is broken - puis la
neige est venue coudre l'horizon.
Le chemin se faisait, dans le temps, avec malles et paniers depuis la descente du bateau
jusqu'à ce point d'horizon cousu à la frontière du par cet de la ville.
Là, où je suis - now broken -, ils déposaient leur peu de victuailles et de trésors, leurs
corps fatigués.
Ça s'étire : les longues jambes jusqu'à l'océan, les bras vers le ciel. Un corps, une ville,
une étrange composition totalement imaginée par l'homme blanc. Le Peau-Rouge lui
vendit pour vingt-quatre dollars cette boue, ces collines, ce fleuve. Étrange transaction si
l'on sait que pour un Indien la terre ne nous appartient pas. Seulement prêtée le temps
d'une vie et ainsi de génération en génération. L'homme noir, ce fut une autre histoire.
Le vent se glisse entre les tours, avec fracas. Il raconte : New York is black, New York is
red, New York is yellow.
Membre à membre, se démembrer sur une ligne d'horizon invisible. Si chanter
Manhattan revient à dépecer les chats, les hommes, le moindre passant, le vagabond, la
rue, le ciel. L'océan se desquame à mesure que les vagues frôlent les buildings d'acier,
les tankers, les poutrelles, la fumée noire des oiseaux, au-dessus.
( Éditions Seghers, 2006)
ÎLE CORPS OCÉAN - ISLA CUERPO OCÉANO
Sans agir sans
commune mesure
De l'océan ou du désert tu te risques
les soies habillent les corps
Au bout des tiges le sel
Les forêts d'agapanthes
aurifères les saxifrages
La lumière de l'île sépare la marche insomniaque et
les voûtes se penchent
à cru comme sur
une robe
Matin où la fenêtre océan devient impasse
Une manière de dormir
Les amants provisoires
les sautes de midi les pétales
jusqu'au blanc Le sang trousserait un visage
sans qu'il y eût de raisons à cela
Dans l'écart la double nuit de l'île
l'ange ou la langue
Se soustraire à l'immédiateté
L'éloigné des lampes suffira
L'évocation la marche la folie
Sur les tréteaux l'île tangue
Demain bleu sur falaises
Et ta main en première noces
inapaisé le rire Ce serait
une escale La tour Saint-Jacques
derrière les arbres comme un garrot
Le dôme du Sacré-Coeur un feuilleté
de livres et d'espaces Paris
Les mille positions sur draps froissés
De chambre en chambre tu
reposes la question l'élégie
Inespérée l'ivresse
(Éditions L'Arbre à paroles, Belgique, 2007)
ESQUISSES D'ÎLE
La mer, toujours recommencée, s'apprête comme une jeune fille, une épousée rebelle
où chaque maux attise son brasier
De la célébrer à nulle autre pareille, le quidam perpétue les monstres, les orages, les
glaciers
une enfilade d'objets : palmes, masque, tuba, combinaison pour la vaincre, sonder son
désespoir, sa fureur
s'étendre - et s'éteindre, au fond du fond
La porte de Mycènes, les cariatides, les atlantes s'y trouvent rassemblés en une forêt qui
depuis des millénaires se minéralise, se liquéfie porteuse de tous les signes de vie
à conquérir
Démiurges à vos scènes, à vos polémiques, magistrats antiques qui réglaient nos vies
Elle a vécu ce que vivent les roses : l' éternité.
S'emplir de ce paysage comme lin et soie se tissent entre de mains nubiles
Cet écran majeur, lac sans frontière, sous les agapanthes, les lavatères, les orties, les
amaryllis
Trace un profil grec
d'une aisance souple infinie
définit couronnes et lauriers
Tu n'as plus d'histoire, tu es
dans le présent
ce fil à plomb
cet ajustement
du rêve
homme debout
dans le tintamarre des rocs, le rapt du vivant
plus une pluie pour dissoudre e sel
dans ta paume, un soleil
se précise
écrit, futur et passé, la ligne de crête
la naissance, l'étonnement, la violence du je.
Accords, désaccords d'un incertain voyage, la vie.
L'île surprend encore le passant
son granit, sa durée
distance focale
Ne pas être du côté des certitudes, se laisser déposer sur le sable
Toute la beauté de ses lignes ; falaises et collines plongent, vertige d'azur en azur
tu attends comme un désespéré s'accroche au néant, l'immobile, le sûr, le voyage
ton reflet miroite dans les airs. Tu le sais, tu danses.
Rien qu'un caillou dans la paume. Rien d'autre.
Ta demeure
bois flotté dans le soir, prestige éphémère, c'est durer.
Jeannine Baude