Des menaces de gratitude
Le leader chipe des parts du gâteau. Les profiteroles sont énormes.
La firme pourrait concilier les contraires, mais elle fait face à la concurrence, qui tourne le dos à l'humanitaire.
Le directoire esquive le lumbago par un massage du message.
Ressassé, hypnotique, sidérant.
« Nous sommes contraint de remodeler la pyramide pour préserver sa flèche, le staff et la moitié des petites mains. »
Car enfin, soyons honnêtes à rebours des utopistes et démagogues de toute pilosité, qui peut aller à l'encontre de la réalité ?
Notre allons fusionner afin de réaliser des économies d'échelle et de trombones et nous recentrer sur le pacemaker de notre métier pour relancer le cœur de la production.
Nous envisageons de raccourcir la ligne hiérarchique et de rallonger notre stock d'options. Puis nous remplacerons le restaurant d'entreprise par des tickets repas de l'Armée du salut.
Toute autre politique serait indigne et irresponsable, ce qui n'est pas pensable pour de dignes responsables.
Si nous restions les bras ballant sur ce bilan mirobolant, les financeurs tireraient le fond de roulement comme un tapis sous nos appuis. Nous mordrions la poussière, qui n'est pas fraîche.
Cette tragédie entraînerait une fracture sociale dans le bassin d'emploi et paralyserait une économie locale déjà béquillante.
Le budget de la mairie serait déséquilibré.
L'habitant ne comprendrait pas pourquoi on ne repeint plus les bancs publics et perdrait confiance dans ses édiles.
Réunion de crise à la municipalité libérale-moderne-consensuelle-réformatrice-modérée toutes sensibilités confondues.
En tant qu'entreprise citoyenne, nous avons le devoir d'éviter ces dégâts collatéraux en opérant de manière chirurgicale et indolore au sein de nos ressources humaines.
Au moment même ou je vous parle, nous commençons à vous endormir de manière à vous épargner des souffrances inutiles.
(Off - Le pouvoir a toujours une sujétion à vous faire.
C'est pourquoi vos paupières sont lourdes, lourdes et votre esprit gourd, gourd.)
Il n'est pas question de licencier sec. Nous mouillerons le maillot avec les partenaires et les accommoderons à la sauce yoyo.
La traversée de cette épreuve ne sera pas une croisière, mais la tradition du dialogue en sortira grandie, sans provo quer de clapotis. Nous dénouerons les conflits sans laisser de nœuds, frayant la voie d'une séparation optimisée sans heurts. Les liens resserrés ne s'en trancheront que mieux.
Enfoncez vous le bien : il n'existe pas de problèmes qui ne puissent être décongestionnés par le gestionnaire agréé.
Nous mobiliserons nos moyens, en particulier vos impôts, pour vous sortir de là et vous virer d'ici.
Nous décruterons en conscience, l'esprit peu titillé par les considérations extra comptables.
Le plan sera imaginatif, protecteur, avantageux et par dessus tout, social.
Nous inciterons les valides au nomadisme négocié.
Nous distribuerons des primes à l'exil
Et des boîtes de Lexomyl.
Il y en aura pour tout l'égout et les douleurs.
La palette complète.
Non content de cela, nous mettrons à votre disposition une cellule de mobilité, une cabanette de reclassement et un coach volant.
Nous alimenterons un fond de soutien à la création de micro entreprise. Une équipe sera à votre disposition. Elle comprendra un conseiller en business plan. Un spécialiste des études de marché et un rédacteur en nécrologie.
Afin de leur épargner un choc et des effusions déplacées, les plus fragiles d'entre-vous seront remerciés par SMS, en début de week-end, de maniè re à déclencher l'Air Bag familial en amont du lundi frisquet.
Les retraites anticipées seront maîtrisées pour satisfaire la liberté de travailler jusqu'à la mort décrétée par nos lumières élues.
A la fin, vous nous restituerez le badge maison. Les vigiles vous fouilleront afin de vérifier qu'aucunes fournitures ne se seront égarées par distraction dans vos poches.
Ensuite, le personnel de sécurité se fouillera lui-même.
Nous vous souhaiterons bien de la chance.
Il y aura des pleurs, des cris, quelques bousculades.
Des menaces de gratitude.
Nous en aurons très envie, mais le temps nous manquera pour vous embrasser.
Un cordon de CRS s'en chargera.
Les victimes et leurs proches auront les traumas débriefés par des psychothérapies courtaudes.
Et la vie reprendra son cours optimiste en bourse.
Jean-Michel Niger