Pierrot le Noir (Haiti)
Amérique aux griffes de chacal ! Amérique du Nord, priez pour nous ! Partout éclate ce grand ordre de guerre, de silence. Partout éclate ce grand ordre de lumière et de clarté, plus sot que l'effronterie, plus beau que le linge de mes amours. Franc comme le donné pour compte avec la parole d'honneur de la bannière étoilée.
Beau comme le donné pour compte de la réalisation des gringos sur tous les bouges où éclate la lune caraïbe et latine. Généreux comme les bateaux yankees qui émoussent mon fleuve d'écume, et remontent vers tous les Ganges du monde, chargés de nourriture, de cover-girls au ventre peinturluré, intestins de porcs, farine de banane, coassements de saxos.
Oui, c'est moi la léchure, la poubelle, moi le goudron, le larvaire, moi tout ce qu'on empile, la guenille, la proscription frappant ainsi tout frère de ma taille et de ma race.
Parlerons-nous langage de fleur à thé de Chine. Parlerons-nous langage du jambon rose, un parler de confiserie.
Parler Reynold's Mining, Canadian Chemical, Haytian American Sugar Company, Dominion Colonial, Imperial Tobacco. Parlerons-nous Standard Fruit Company, cacao et caféier, Standard Oil. Les signes du pétrole balisent ma noirceur.
Ah ! ils ne m'ont point entendu encore parler mandingue, ils ne m'ont pas entendu parler, parler langage de pierre, de feu, langage Pierrot le Fou, Pierrot le Nègre. Oeil rouge, mouchoir, machette créole, ouolof ou kilimandjaro. Pierrot le Noir. Ils ne m'ont pas vu savane ou marron le Nègre.
Jean-Richard Laforest