La promesse

Publié le par la freniere


À l’automne, l’arbre perd ses feuilles, l’homme ses illusions.  Le monde est surpeuplé et ses couloirs sont bondés. On marche l’un sur l’autre. Entre les cimetières d’autos et les parcs à vieillards, l’humanité se perd. Les choses, peu à peu, ont pris toute la place. On ne distingue plus entre un cœur qui bat et une pile au carbone. Devant la marée noire, même les poissons pleurent dans l’eau. Peu importe la fin, mourir est la seule promesse que l’on tient. Tous les mots sont blessés. Le pansement du silence n’étanche pas le sang. Les hommes se parlent à la pointe du fusil. Le sang remplace l’encre. On n’écoute plus le silence. On a peur de s’entendre. Les battements du cœur lancent des SOS. Le pouls sonne l’alarme. Nous préférons vivre dans l’illusion. Le jour devient pauvre en paroles d’amour. On n’ose plus dire je t’aime. Assis sur une bombe à neutrons, nous quémandons la paix. L’Amérique est un vol. L’Amérique est un viol. Quelques Indiens survivent pour en témoigner. Plus personne ne sort sans son ombre, son parapluie, son flingue. Une carte de crédit nous sert d’identité. Assis sur les genoux de la vie, j’ai déchiré la mienne. J’interroge la pierre. Je questionne la source. Je partage mon pain.


Qu’y avait-il avant ? Qui s’en souvient ? Les autoroutes sont comme le lit desséché d’une rivière. J’ai plongé ma vie dans la chair d’un arbre, à l’intérieur des pierres, dans le vol d’un oiseau, dans l’ombre d’une bête. Je me suis inséré dans la fracture du monde, enfoui dans la glaise. J’ai endossé la peau du cœur, le souffle des méduses, le pourrissement du bois. J’ai perçu l’infini dans un grain de poussière. J’ai plongé dans l’étroit, dans l’obscur et l’abrupt. Je me suis perdu dans l’immensité. Il y a de l’infini à chaque bout de la vie. J’ai plongé dans la mer, de la première à la dernière vague. J’ai marché sur une terre de syllabes. J’ai parcouru à pied l’envol des voyelles. J’ai avancé plus loin. J’ai fait corps avec la mort et je suis revenu. Le soleil est le même. Partout, j’ai grappillé des mots. Je m’en suis fait un corps, de vase et de lumière, de la première à la dernière lettre.


Certains gravissent la montagne pour voir plus haut, d’autres pour regarder en bas. Je n’ai pas de mémoire. Je m’invente à mesure, sans passé ni futur. Je lis mes souvenirs dans la paume des pierres, les lignes des fossiles, les cercles de l’aubier. J’écris au milieu du monde, des enfants, des insectes, avec des mots qui piquent la peau blanche des pages. Les tournesols sont des visages d’enfant qui regardent leur mère. Les abeilles sont des fleurs dans le pollen du temps. Je nomme le bouleau, la rainette, le vent, le feu des épervières sur la robe des champs. J’ai trop semé dans les épines. J’ai cherché trop longtemps mon salut dans la fuite, courant d’une rive à l’autre comme un fleuve indompté. Loin des racines, je chantais faux sur le bord des trottoirs. On ne dit pas l’usine avec la voix d’un fleuve ou le cri d’un oiseau. Vous ne me verrez plus sur le parvis des banques à faire la queue basse. Vous me trouverez dans le bois causant avec les arbres, dansant autour d’un feu, en haut sur la colline avec les vaches volantes, le cœur sur la main cherchant le foin des mots, sur le bord d’un ruisseau avec les pieds dans l’eau ou couché sur le dos, grattant avec les yeux le ventre des nuages.


Le monde est si petit et le monde est si grand. Il y a tant de signes, de sons, de lumière. Mes pieds nus philosophent avec l’herbe et le vent, mes mains avec la neige, tout mon corps avec l’eau. Je traverse le monde comme le sang me traverse. Je rejoins l’eau, la terre, le soleil. Je retrouve en marchant la langue de ma mère, son pas d’aube légère. Je vois l’envers du décor, le négatif des rencontres, les pôles qui s’épaulent. Je nomme le jardin, la chair d’une rose embrassant le pollen, les milles bouches du fleuve, l’asymétrie des feuilles, le pouls lent de la sève, l’espoir qui surveille les nids abandonnés, la tendresse de l’herbe aux doigts incalculables. Je nomme l’horizon comme l’oiseau dit l’aile. Aucun mot ne suffit. Il faudra tout refaire, le temps, l’espace, l’espérance, l’amour. L’infini de l’espace est comme l’éternité dans les hommes et les femmes.

 


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