Du chalutage à la criée
Jean Barbé n'oublie pas l'encre sur le feu. Il saisit le verbe sur la pierre brûlante, le retourne prudemment, inspecte ses ailes qui annoncent le rythme, la cadence d'une prochaine douleur.
Les mots sont là, ils trépignent d'impatience : qu'on les sorte enfin du dictionnaire en respectant leurs origines. Or, Jean est un respectueux, il n'arrache pas les mots de leurs sens pas plus qu'il ne les cueille en haut de la tige, il les déterre lentement, mettant à nu chaque racine, puis il les replante parmi les minuscules copeaux de bois tiède qui composent sa page encore vierge. Le bonhomme n'est point ce vandale qui laisse des cicatrices bestiales à la gorge du chat, en se permettant de le nommer autrement qu'un chat. Son insolence est ailleurs, elle est dans la musique qu'il puise dans le silence, un silence paradoxal puisque avant de fixer le moindre mot, il lui faudra le vacarme du monde.
Jean est un poète qui marche dans les rues, patauge dans les flaques d'eau, dérape dans les merdes de caniches, frôle des coudes des imperméables gris, traverse des ombres de femmes qui viennent tout juste de faire l'amour, vite fait, mal fait, croise des marins qui n'osent plus respirer de peur de gaspiller la vie. Jean promène la pluie des petits bistrots, observe, écoute, s'émeut, assiste à des scènes de trottoirs, retient son poing prêt à pulvériser le visage d'un imposteur qui lui renverse sa morale poisseuse sur le col du blouson. Jean Barbé est au monde, parmi la foule et son odeur opiniâtre de froc usé, dépiauté par les files d'attente.
Il ne peut en être autrement, plongez et vous lirez le Tout !
présentation de l'éditeur
Déprends-toi
Déprends-toi de ce temps qu’on ne doit jamais perdre
Qu’on jalonne vers l’avenir horizontal
Déprends-toi de ça
De ta montre à l’heure légale
Déprends-toi de tous égards
De ce qu’il faut avoir et savoir pour pouvoir
Déprends-toi de ton toit qui becte tes étoiles
Et déprends-toi aussi
De toi qui ne t’endors qu’aux rêves d’autre part
Déprends-toi d’ici
Largue corps et âme et amarre
Éprends-toi de la vie
Réapprends à l’aimer
Comprends-la sans raison
Sans chercher ta mission
Dans les dits miséreux de poètes à la noix
Surprends-toi à chanter et puis reprends le quai
Entre les nénés bleus des buissons d’hortensias
Reprends pied au milieu des beaux gaillards d’avant
Reprends langue avec tous les matafs à bobards
Repends-toi à leurs bras
Repends-toi d’être mort
Et pour reprendre corps
Reprends enfin ton verre où tu l’avais laissé
Parmi les leurs sur un bollard rouillé d’embruns
Crève le ciel d’un doigt pour reprendre le vent
Crache par terre et
Si elle veut encor de toi
Prends la mer
Jean Barbé