Le monde sur la table

Publié le par la freniere

L’humanité souffrante n’en finit plus de copuler, enfantant du malheur au lieu de liberté. Où retrouver la source, la lumière, l’espoir ? Où marcher sans tomber dans un piège à dollars ? Plein de petits hommes gris dans un ego trop large ont brisé la bonté et choisi la monnaie, les armes, le pouvoir. Ils ont tout délavé, des pierres de Carnac jusqu’aux jaunes de Van Gogh. J’entrevois dans l’excès le pire qui s’en vient, le cœur écrapouti sous un casque guerrier, l’âme disparue sous un masque sans rides. Pour chaque dollar de profit, des gens meurent quelque part. Pour chaque pain qu’on vend, chaque lopin qu’on pille, des ventres crient famine. Pour chaque oiseau qu’on vole dans le ciel du rêve, un oiseau de malheur squatte le nid du réel. Le soc de la faim remue le ventre de la terre.  Dans ce palais d’ordures et des rêves rouillés, les hommes traînent un seau de larmes. Le vin tourne au vinaigre. Les tournesols aveugles s’égarent sans soleil. La haine à l’horizon ne fait pas de quartier. Un enfant affamé suce un caillou brûlant. dLa monnaie des blessures est un pourboire amer dans la main des soldats. Chaque bout d’os d’un Dieu a ses chiens enragés.


Je vis dans les horloges déchiquetées. J’embrasse le sang rouge, le sucre de la sève, l’odeur étrange de l’encre. Je ne suis pas poli comme une potiche qu’on délave. Il pleut dans mon crâne, des idées folles, des clous rouillés, des rêves en chien de fusil. J’écris sur la peau des fesses et les semelles usées. Je me déchausse des faux pas loin des sentiers battus. Je cale avec un mot la table des matières. À défaut d’espérer, j’accroche mon hamac entre les parenthèses. Je n’irai plus aux îles Mouk-Mouk. Je n’irai plus ronger mon frein. J’ai passé soixante ans et la dernière année à hurler comme un loup. Je porte ma révolte comme une lampe au front. J’apporte des sifflets et quelques miettes de pain pour  les oiseaux timides. Je rêve que la vie a parfois les yeux doux, le cœur sur la main, une âme sous la peau, un poème à la bouche. J’écoute François d’Assise dans la prière des oiseaux. De vieux morts rôdent encore dans les plates-bandes du temps. J’entends leurs cris parfois dans les yeux des muets. Mes songes rament à contretemps. Qu’un seul grain de pollen féconde la rosée, qu’une seule goutte de pluie pose ses lèvres sur la pierre, qu’un seul poème s’arrondisse le ventre et j’entrevois la mer, le jardin, l’absolu.


La mère végétale nous offre ses fruits mûrs. Le monde appartient aux bêtes, aux cerises, aux nuages. Il faut s’en faire des amis. Du train où vont les choses, la terre sera morte avant qu’on sache aimer. La froideur des masques dévore les visages. La peau du cœur s’écaille comme un vieux lavabo. Chaque jour, devant la page blanche, j’invite l’horizon. Je l’accueille avec des métaphores et des images tendres. Avec mes cailloux blancs et mon couteau sans lame goûtant la pomme verte, la rosée du visage, mes poèmes naïfs, mes bribes de jeunesse, je suis un petit Poucet à la barbe en voyelles. Avec les poings minuscules des fleurs, je cogne contre les murs et les moulins à vent. Un peu chien, un peu chat, je voudrais être un loup déchirant d’un coup de langue les parois de papier. Dents serrées, le ventre plein d’images, j’explore l’ignorance. J’ouvre le mur des épaules avec la clef d’une caresse. J’appelle à moi les rêves, les semences, les fleurs. J’écris la terre sur la neige, la forêt sur la rue, le monde sur la table.

 

 

Publié dans Prose

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D
<br /> <br /> Si au hasard peu probable /De tes déplacements /Tu dégottes quelque chose /<br /> <br /> <br /> Que je peux encore mesurer /Avec les limites de ma prose /<br /> <br /> <br /> Laisse un message urgent /Je me télé-repentirai<br /> <br /> <br /> <br />